Intérieur Nuit

Illustration :

M’ouvrir les veines. Je ne peux pas continuer, ça ne peut pas continuer. Pas envie de sortir, je n’ai plus rien à faire. J’aurais dû mourir. Avec lui. C’est comme ça que c’était prévu.
Je ne supporte plus, ces yeux qui me hantent, m’interrogent, ce regard : il n’a pas compris. Il a d’abord cru à une caresse, une de plus. Puis la lame est entrée, ça a fait mal, alors ce regard « que fais-tu ? que veux-tu ? »

La télé ! mais qu’elle baisse le son, je suis fatiguée. Quelle fatigue ! Du silence, de grâce du silence !

Son geste aussi. Quand il a compris, qu’il m’a attirée quand même, quand son sang a coulé sur mon ventre. C’était chaud, doux, je n’ai rien dit, j’étais paralysée. Et son sourire. Apaisé, je l’ai trouvé apaisé. Je veux croire qu’il l’était.

Ça aurait pu durer toujours. Je ne comprends pas, pourquoi ces refus ? Il refusait tout ce que je pouvais lui donner, il refusait que je le trouve beau : « Tu es mignonne mais non, je ne suis pas beau ». Il se voulait laid, physiquement, moralement : « Tu sais, dès qu’il y a une connerie à faire, je la fais, je suis comme ça ». Qu’est-ce que ça voulait dire, que la connerie, c’était de me rejeter, qu’il aurait voulu faire autre chose qu’une connerie ? M’aimer ? Je le voulais pour deux. Mais on ne peut pas vouloir pour deux. Moi , je n’ai pas pu en tout cas.

Maintenant les déambulations des gardiennes. Elle essaient de m’aider. Un « drame passionnel », ça va, ça passe, ça suscite même un peu l’admiration, c’est romanesque ! Pourtant non, je ne me sentais pas dans un roman, plutôt dans un cauchemar. Quand on me l’a enlevé. Définitivement. Il m’avait enlacée, il me tenait serrée, je me souviens des marques sur ma peau. Elles sont restées longtemps. Je crois que maintenant encore…, mais je n’ai plus regardé, je ne veux plus me voir, plus jamais. Je le regarde lui, je suis lui maintenant. Donc je suis morte. Pas difficile à comprendre. Pourquoi me force-t-on ? Je n’ai pas faim. Je n’ai pas soif. Je ne veux pas dormir. Si je dors, je rêve de lui vivant et c’est trop dur, insupportable. Je ne veux pas dormir ! Plus jamais. Ou si : je veux dormir pour toujours. Et sans rêves.

Je ne veux pas expliquer. Personne ne comprend. On ne me pose pas de questions. C’est pire. Je vois dans leur regard l’incompréhension. Ils se demandent pourquoi j’ai tout bousillé, ma vie, celle de mon mari, celle de mes enfants. Oui je sais. En fait non je ne sais pas, c’est comme ça. Ça couvait, moi je sentais que je n’étais pas une gentille femme au foyer, une gentille mère de famille, belle maison, belle voiture, beaux et riches amis. Je savais que je n’étais pas ça. Je n’aurais jamais dû accepter. J’ai cru que je pourrais l’oublier. J’étais en colère, je me souviens bien. Après tous ses abandons, finalement, j’étais en colère. Pas trop tôt ! Mais ça n’a pas duré, je n’ai jamais cessé de l’aimer. Je savais en retournant le voir, je savais ce que je faisais. Je fichais tout en l’air, c’était sûr. Et je crois bien que je savais que je nous tuerais.

La voilà qui sombre dans ses cauchemars. Le cri habituel. Je ne sais même pas ce qu’elle a fait, je ne veux pas le savoir. Elle a essayé de me parler mais je n’ai pas répondu. Tant pis, je ne peux rien pour elle. Puisque je suis morte.


Il n’est pas mort tout de suite. Ça a duré combien de temps, plusieurs heures probablement. Il n’a pas parlé, si, il a enfin murmuré ce que j’avais toujours espéré. Je me demande s’il s’est mis à m’aimer parce que je venais de le tuer. C’était peut-être ça le sens de ses paroles «  Je cherche une femme qui me suive loin, bas. ». Je croyais qu’il parlait de sexe, d’alcool. Maintenant je me demande. Mais si c’est bien ça, je n’ai pas été cette femme puisque je n’ai pas été capable de le suivre jusqu’au bout.

Mes cris dans la nuit, comme si c’était ceux de quelqu’un d’autre, je criais et je m’entendais crier. C’était étrange. C’est comme ça que j’ai donné l’alerte. Quelle idiote ! Mais ça a été tellement terrible quand je n’ai plus senti son cœur battre contre mon corps. Dans mon corps.

Je suis faible, dans du coton. Comme cette nuit-là. Je pensais que le valium ferait effet. Je ne sais plus combien j’en ai pris. Trop peu. A l’hôpital on m’a dit que j’avais eu de la chance. Si j’avais pu, j’aurais ri. De la chance !

La chance ça avait été de le revoir. Son appel. Enfin ! Après toutes ces années. Je n’ai pas hésité. Je n’ai rien expliqué, je ne voulais pas dire et je ne voulais pas mentir. J’ai juste dit qu’il fallait que je parte, quelque chose du genre, du genre banal. J’ai pris la voiture. Le même chemin. Je m’en souvenais parfaitement, bien sûr. Ça a été bouleversant, cette impression que, oui, ça valait la peine d’être né. Cette sensation que rien ne serait plus jamais pareil. Que rien n’était plus possible. J’ai cru que c’était ce qu’il voulait : j’ai frappé.

Auteur : Michelle Lesuisse

Illustration : de Selenys.

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