Le Royaume d'Enfancine

Autrefois, le jeune fils d'un meunier, Rodès, n'avait reçu en héritage qu'une petite masure en bois et un collier avec un pendentif de forme ronde. Il était bien triste et se demandait comment vivre avec si peu. Il travailla durement une terre à blé. Chaque année, la récolte était achetée par le roi Julin.

Le souverain habitait dans un château proche de la masure de Rodès. Sire Julin était si avare qu'il payait fort peu les récoltes. Même avec sa fille, la très jolie princesse Mara, sa majesté se montrait d'une extrême avarice. Il ne lui avait offert qu'un miroir afin qu'elle puisse, chaque jour, contempler sa beauté. Hélas, il ne lui avait jamais offert un seul bijou, un habit neuf ou de quoi se coiffer.

Tandis que Rodès se reposait après une dure journée, une gentille fée apparut. Elle l'interpella. Grande fut sa surprise ! D'où venait cette vision ?

- Je suis la fée Enfancine, je viens te proposer un pacte.

Intrigué, curieux, il acquiesça d'un signe de la tête. Elle continua :
- Ton père, le meunier de la région, avait passé un pacte avec la sorcière Céluste

Elle lui avait promis la richesse à deux conditions : son fils serait pauvre et ne pourrait jamais avoir d'enfant.
- J'ai découvert ma pauvreté à la mort de mon père…
- J'en suis désolée…
- Cette fois-ci j'apprends qu'en plus je ne pourrais pas engendrer d'enfant, se désespéra Rodès.
- La sorcière Céluste a joué un autre vilain tour. Elle retient prisonniers deux enfants dans la Tour de Botal. Ces enfants sont un garçon et une fille orphelins. Va à la Tour de Botal délivrer ces enfants, ils deviendront tiens et tu les élèveras dans la richesse. Je te reverrai une fois que tu seras arrivé au lieu dit.
- Oui, accepta Rodès.

Il partit de suite en emportant son seul héritage : le collier et le pendentif.

Peu de temps après, au royaume de Julin, la princesse Mara se regardait dans son miroir. Soudain, en plus de son reflet, elle vit celui d'une autre personne. Stupéfaite, elle se retourna et découvrit une fée venant de nulle part. Elle se présenta :
- Je suis la fée Enfancine, je viens te proposer un pacte.
- Je veux bien vous écouter, répondit Mara d'une voix troublée
- Ton père, le roi Julin, avait passé un pacte avec la sorcière Céluste. Elle lui avait promis la richesse à deux conditions : sa fille serait pauvre et ne pourrait jamais avoir d'enfants.

Mara comprit ainsi pourquoi, fille de roi, elle avait si peu de choses en sa possession :
- Ainsi, j'apprends que je ne pourrai jamais enfanter, et tout cela à cause de mon père…
- J'en suis désolée…
- Pour mon malheur, il a préféré la richesse à mon bonheur, pleura-t-elle.
- Je peux éliminer ce malheur : la sorcière Céluste a joué un autre vilain tour. Elle retient prisonniers deux enfants dans la Tour de Botal. Ces enfants sont un garçon et une fille orphelins. Va à la Tour de Botal délivrer ces enfants, ils deviendront tiens et tu les élèveras dans la richesse. Je te reverrai une fois que tu seras arrivée au lieu dit.
- Oui, accepta Mara.

Elle disparut et la princesse partit de suite en emportant un seul objet : son miroir.

Mara courrait à perdre haleine en direction de la Tour de Botal. Elle aperçut un homme qui courrait aussi vite dans la même direction. Elle interrompit sa course et se mit à marcher jusqu'à lui. Voyant la jeune femme, il s'arrêta. Tout de suite, Rodès fut séduit par la splendeur de la princesse et par son sourire. Il lui demanda : "Mais où peut bien courir une si jolie damoiselle sans aucun prince charmant à ses trousses ?" Mara fut irrésistiblement séduite par la beauté du jeune homme. Il paraissait pauvre et pourtant il s'exprimait tel un gentilhomme. Elle répondit tendrement : "J'ai une mission à accomplir à la Tour de Botal."

Rodès fut agréablement surpris d'entendre de si douces paroles d'une femme qui, semblant être de riche famille, parlerait avec moins d'amabilité à un pauvre homme comme lui. Il répondit : "Je dois aller délivrer des enfants à cette même tour". La princesse, surprise, lui demanda "N'auriez-vous pas eu la visite de la fée Enfancine ?" Rodès comprit ainsi qu'ils avaient accepté le même pacte. Il affirma : "Allons ensemble accomplir notre mission". Et ils reprirent leur course.

Au même moment, le roi Julin, pris de malaise fit une chute et se blessa. Ses gardes le conduisirent aussitôt dans sa chambre. On convoqua au château les médecins les plus réputés. Le roi, inquiet, questionna chacun. Ils étaient formels : c'est une maladie du sang qui allait l'emporter peu à peu vers la mort. Grandes seraient ses souffrances. Il demanda que tous sortent de sa chambre. Une fois seul, il appela la sorcière Céluste. Elle apparut :

- Comment oses-tu m'appeler, moi, la sorcière Céluste ? Même un roi ne me commande pas ! Mais je vais t'écouter car peut-être me diras-tu quelque chose d'intéressant.
- Je souffre, mon avenir n'est que douleurs et mon destin n'est que la mort. Je t'échange ma richesse contre la guérison, supplia Julin.
- Crois-tu pouvoir changer un pacte signé de ton sang ? ricana la sorcière, sardonique.
- Ce pacte a été conclu il y a si longtemps. Je n'étais ni marié, ni roi, ni père.
- Tu n'avais qu'à réfléchir. Aujourd'hui, c'est trop tard ! Adieu !

Et il s'enfonça dans la souffrance. Sa richesse s'avérait impuissante pour le guérir.

Mara et Rodès courraient tout en potinant. Ainsi Rodès apprit que cette jolie damoiselle n'était autre que Mara, la fille du roi Julin. Elle apprit aussi qu'il était le fils du meunier de la région. Finalement, ils aperçurent la Tour de Botal.

Il faisait nuit… Des chauves-souris virevoltaient dans le ciel de plomb. Un hibou hulula. Soudain, un étrange craquement… Ce fut un lynx en fuite ! Ils approchèrent de la tour… Ils entendirent soudain :
- Au secours ! Délivrez-nous ! Au secours !


Rodès pensa entrer par la fenêtre. Chose aisée… Elle était restée ouverte ! Hélas, il ne put la franchir. Il posa ses mains sur… un mur invisible… Que se passe-t-il ? Comment est-ce possible ? Il poussa de toutes ses forces mais l'étrange cloison ne bougea pas. La fée Enfancine apparut…
- Le mur est invisible ! Il a été édifié par la sorcière Céluste. C'est le mur du mal, il est sans couleur, sans matière…
- Mais comment faire pour le détruire ? questionna Rodès.
- Je n'en ai pas le pouvoir ! Seuls vous pourrez le faire… Bonne chance !

Enfancine disparut. Nos deux héros désespéraient. Les enfants trouvèrent un manuscrit tombé sur le sol. Rodès essaya de le lire. Hélas il ne savait ni lire ni écrire ! Avec un petit sourire, la princesse Mara le prit :
- Que le grand soleil reflète sur la nuit pour qu'elle devienne jour. Que le petit soleil tombe sur le sol pour que s'élève une multitude de petits soleils.

Mystérieuses paroles ! Mara eut l'idée d'utiliser son miroir. Elle l'inclina de telle façon que le soleil se reflète dans la fenêtre. Le mur incolore disparut comme par enchantement. Rodès et Mara attendirent que les enfants sortent par la fenêtre. Personne ne sortit… Inquiets, ils entrèrent… Personne ! Où étaient passés les enfants ? D'un coup… stupeur ! Un grand trou au milieu de la pièce… les enfants étaient tombés…

- Pas de mal ? Demanda Rodès, angoissé.
- Non ! Crièrent les enfants.


Une corde apparut dans la main de Rodès :

- Une aide d'Enfancine ! Sourit-il.

Il aida les enfants à sortir. Ils s'agrippèrent à la corde. Rodès n'eut plus qu'à tirer les enfants hors du piège de Céluste. Quelle joie pour eux ! Rodès et Mara les prirent dans leurs bras avec bonheur…

Il fallait sortir de cet endroit au plus vite, avant que Céluste ne vint leur jeter un sort. Mara invita Rodès et les enfants à se rendre près des siens.

Arrivés au château, Mara apprit que son père était mort. La princesse éclata en sanglots. Malgré l'avarice de son père, elle l'aimait…

Mara expliqua toute l'histoire à sa mère. La reine comprit alors pourquoi il existait tant de malheur autour de leur famille. Céluste était détestable. La souveraine invita Rodès et les deux enfants à loger au château en attendant les obsèques du roi.

Quelques jours plus tard, la richesse disparut, comme le prévoyait le pacte passé avec la sorcière Céluste. Tous les vitraux du château étaient devenus comme par magie des fenêtres sales. Les couverts en or étaient changés en couverts en bois. Tout le château n'était devenu qu'une immense ruine. La reine pleurait sa misère… le peuple aussi était malheureux. Rodès pensa alors que le pacte passé avec la fée Enfancine n'était pas respecté puisqu'il était destiné à errer dans la pauvreté. Les enfants pleuraient, se rappelant le malheur qu'ils avaient connu. Ils avaient tant espéré… Rodès, saisissant son pendentif et le montrant aux enfants, hurla :
- Voici toute notre fortune !

Rodès eut alors un éclair de génie en entendant ces paroles. il se souvint de la deuxième phrase de la prédiction d'Enfancine :
- Que le petit soleil tombe sur le sol pour que s'élève ensuite une multitude de petits soleils

Il regarda le ciel. Le pendentif se détacha du collier et tomba sur le sol. Aussitôt, une brillante lumière apparut qui les aveugla. Quand elle disparut, quelle ne fut pas leur surprise ! Un arbre majestueux… ayant pour fruits des pièces d'or ! Au loin, la forme éthérée d'Enfancine se fondit dans l'azur du ciel.
Voici de quoi reconstruire le royaume ! Allons, tous au travail !

Auteur : Cypris (Philippe JEANNET)

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