Rencontre

C’était une ces nuits sombres et ténébreuses que la lune même ne sait pas éclairer …

Sa mélancolie grandissante nuisait à son sommeil, elle décida de se lever et de marcher. Après avoir enfilé une robe de soie noire et des escarpins, elle se faufila dans la moiteur de la nuit. Tout était calme et la terre se reposait du soleil de plomb qui l’avait brûlée tout le jour durant … Elle se délecta du silence et du puissant parfum des Bougainvilliers.

La jeune femme passa devant cette villa Victorienne qui la fascinait tant. La magnifique demeure semblait inoccupée … Cette fois elle se décida à en pousser le lourd portail de fer forgé qui grinça sous son geste … Elle hésita un instant puis parcourut la volée de marches qui menait au perron, son cœur battait un peu vite. Elle écouta un instant mais le silence nocturne était toujours intact.

Elle tourna la poignée et la porte céda, révélant une entrée immense et un grand escalier face à elle … A peine eut-elle mis un pied dans la villa que la porte se referma derrière elle. L’ingénue sursauta un peu avant de rire tout haut de son angoisse. Étrangement cette villa n’avait pas été pillée, on aurait dit que tous ces habitants avaient dû la quitter précipitamment et que tout était resté figé depuis lors … Seules la poussière, les toiles d’araignées et le style victorien laissait paraître que l’époque de gloire de l’endroit était révolu …

Les chandeliers étaient encore intacts, bougies à peine entamées. Elle se félicita pour une fois de ne pas avoir réussit à arrêter de fumer et sortit son briquet pour en allumer quelques uns.

Poussée par la curiosité, elle saisit un des candélabres, grimpa rapidement l’escalier et se trouva dans un couloir assez sombre …

La première pièce semblait être la suite d’une femme. Un magnifique lit à baldaquin trônait dans la chambre, une odeur de renfermé régnait mais n’était pas plus gênante que cela … Elle s’installa devant la coiffeuse prés de la fenêtre et s’observa dans le miroir un instant.

Une brosse d’époque était posée sur la table, il y avait aussi des flacons de différents soins et parfum, un poudrier également et quelle ne fût pas sa surprise de trouver des bijoux … « Étrange rien n’est pillé ou détérioré ici et pourtant tout semble à l’abandon depuis des siècles … », dit-elle tout haut.

Une lumière semblait émaner de l’autre pièce mais lorsqu’elle en ouvrit la porte, c’est par une obscurité totale qu’elle fût accueillie.

Elle posa le bougeoir sur le bureau massif de chêne …

Il y avait comme une odeur de feu de bois récent dans cette pièce, sans doute se faisait-elle des idées, l’âtre était froid et vide. Elle poussa un cri d’émerveillement en découvrant une grande bibliothèque de divers ouvrages … Sur le bureau attendaient d’être sollicités une plume et son encrier, un lit richement décoré occupait le mur du fond et dans l’armoire restée ouverte quelques chemises à jabot pourrissaient, abandonnées à leur sort …

Elle cru entendre des pas dans l’entrée et ne bougea plus, tentant d’écouter encore. Mais les battements affolés de son cœur et sa respiration haletante l’en empêchaient …

Dans un éclair de courage elle descendit le grand escalier et regagna l’entrée.

Elle se dirigea dans la salle tout prés qui était un grand salon.

Elle n’avait jamais vu cela, une pièce immense, sur la droite une longue table était dressée dans l’attente d’au moins quarante convives … La vaisselle était intacte et semblait prête à revivre sous la couche de poussière … Sur la gauche une salle de bal, un lustre à bougies d’époque immense et magnifique la dominait de toute sa splendeur.

Elle alluma les chandeliers disposés sur la cheminée de marbre blanc et posa le bougeoir. Elle avança, grisée par sa découverte, faisant claquer doucement ses talons sur le parquet de la salle…

Sur un des fauteuils victoriens elle aperçu un chapeau haut-de-forme et une cape.

Poussée par je ne sais quoi, elle pris le chapeau un instant dans ses mains, vision palpable d’une autre époque …

Le lustre avait été allumé et éclairait la pièce de sa lumière chatoyante et flavescente, un orchestre jouait sur l’estrade en bout de salle, de cette musique baroque qui vous envoûte, les couples se mouvaient avec harmonie tels des danseurs célestes glissant sur le parquet vernis de la salle avec une grâce de porcelaine …

Les femmes dans leurs corsets serrés et leurs robes ressemblaient à une multitudes de fleurs différentes, l’une arborait une tenue d’un rouge carmin magnifique, quand l’autre se pâmait dans une toilette d’un bleu royal … Sa tête lui tournait devant tant de beauté et d’allure, un bal invraisemblable dans un univers féerique … Les hommes chatoyaient tout autant que ces dames dans leurs costumes queue-de-pie, des gilets de soie, de jolies chemises à jabot, capes, chapeaux haut-de-forme et cannes pour certains …

C’est alors qu’elle l’aperçut, de l’autre côté de la pièce, il donnait l’impression de l’observer à travers les danseurs … Oui c’était bien son visage qu’il scrutait de ses yeux d’un vert intense.

Il sourit un instant quand elle posa les yeux sur la « créature » : il était grand, son allure était féline, la mâchoire était virile et douce en même temps, animal et androgyne à la fois … Quel homme délicieusement étrange, ses longs cheveux d’ébène descendaient en cascade sur ses épaules. Il portait un pantalon noir délicieusement moulant et une chemise à jabot, son gilet bordeaux était du même tissu que la pochette de sa veste queue-de-pie. Elle l’observait, fascinée, tout en tordant, sans s’en rendre compte, le haut-de-forme entre ses mains … Il lui parlait semblait-il et lui montrait le couvre-chef, le sien visiblement …

Elle laissa d’un coup tomber le chapeau à terre, la pièce était sombre et froide, les bougies arrivaient en fin de vie …

Elle sortit à toutes jambes, bouleversée par ce qu’elle venait de vivre.

Imagination fertile, se fit-elle remarquer.

Une fois le cimetière dépassé elle ralentit son allure.

Calmée de sa course effrénée elle entendit, en adéquation avec le rythme saccadé de ses talons sur les pavés, d’autres pas …

Elle se retourna mais ne vit personne.

Quand elle entreprit de reprendre son chemin c’est nez à nez avec lui qu’elle tomba, sortant du cimetière …

Lui qu’elle avait cru imaginer quelques instants plus tôt, fidèle à sa vision, magnifique et arrogant, sensuel et élégant … Il posa son doigt sur ses lèvres pour la faire taire, elle retint son souffle, elle ne savait pas crier, ne pouvait pas fuir, n’avait pas envie de fuir … elle était sous le charme, qui était-il …

« Belle et imprudente enfant » dit-il, ses yeux verts pénétrèrent son âme et dans un sourire il dévoila ses canines acérées …

La jeune femme n’arrivait pas à le craindre, elle restée fascinée, figée là sans un mot.

« Vous êtes venue à moi, vous m’avez éveillé, soyez maintenant ma cavalière pour le grand bal de l’éternité ».

Doucement il embrassa ses lèvres et glissant jusqu’à son cou il pénétra tendrement la chair, se délectant de son sang parfumé … Elle enlaça son rêve vivant, lui offrant son âme et son cœur, livrant sa vie à sa vision qui se voulait d’éternité … Oui, elle lui appartiendrait à jamais …

Auteur : Exquise Marquise

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