à jamais

Que connais-tu de moi mis à part ce que je fus?
Tour à tour ou tous à la fois, sans pitié pour l’emmerdeur. Les coups volent dans ma tête, me transpercent l'abdomen et me traînent sur l'asphalte brûlant, les habits peu à peu en lambeaux, rougis par quelques gouttes de sang. Le sol ramasse mes cheveux à la pelle et les rires aigus et malsains dans l'air chaud et lourd, font s'éparpiller les oiseaux dans le ciel. L'ombre de ces derniers se fond sur mon visage en une demi-seconde puis disparaît. Je lève l’œil. Contemple mes bourreaux haineux, rongés par la poussière que la cohue a soulevée. Inutile de les décrire, le temps devenu si noir et menaçant le fait à ma place, berceau d'un Éden obscur, mauvaise journée de printemps. Les tâches dans le ciel se déplacent et se multiplient à une vitesse vertigineuse; mes yeux exténués ne sont même pas en mesure de les suivre et perdent la cadence rapidement. Couché, les yeux serrés, je laisse se glisser la poussière sous mes ongles et serre les poings en pensant à quelque chose qui pourrait apaiser mon esprit : l'herbe tiède d'un printemps sur mon corps encore rafraîchi par un hiver long, mon âme aux quatre points cardinaux, l'odeur de la pluie. Mais c'est en vain, cette larme d'opale qui se fraie un chemin sur ma joue poussiéreuse me trahi. J'avais juré pourtant que je resterai fort... Faiblesse d'esprit, chute morale ou champ de bataille psychologique. Qu'ai-je fait pour que cette Terre me délaisse, qu’ai-je donc fait ? Aux sanglots mérités, subits, aux violences finales. J'ai vécu comme un îlot dans la mer, comme une brindille au beau milieu d'une forêt de pins gigantesques, j'ai vécu du mauvais côté du mur, aux bords des mauvaises frontières, des mauvaises falaises. C'est à cet instant que les vérités se rejoignent et forment un cercle aux barbelés disgracieux, et l'idée d'un monde sans mon corps peut enfin se développer, s'offrir à moi, défilant comme un projecteur sur mes paupières.

Je ferme les yeux en réalisant soudain l'ampleur et l'importance de la vie, l'impact sur mon propre esprit. Un éclair de lucidité aiguisé, tranchant à souhait s'éprend de mon cerveau en une fraction de seconde. J'admire le panorama qui s'offre à moi. Oubliant le moment passé, enduré, me contentant de déguster l'instant présent. Je découpe les nuages sous toutes les formes, le vent qui les pousse me donne une impression de vitalité enivrante. Je goûte au sang qui chemine sur ma lèvre, s'adossant à mes gencives et enveloppant mon palais. Mon corps empalé, dans ce que je croyais être mon palais. Dans la vallée de ma vanité, des arbres de l'orgueil aux allées des méfaits, s'étend ma vie, se file un cocon qui se défie de la raison. Défilé de masques arrogants, or et argent. La mort à demi-mot, dans un ciel aux étoiles dénaturées, vouées au silence perpétuel. Je m'engouffre dans une mer de feu, aux vagues d'acier et à la houle meurtrière. Cette mer de vie, mer qui m'écorche, me promène avec mépris et ardeur. Mère qui m'a crée, mère qui me détruira. Je parle au néant, tutoie le vide, embrasse les nuages, murmures d'abîmes. Ablation des sens, névrose.
Je me penche du côté droit, retient mes nausées, les yeux titubants je cherche en vain mes assassins. Et soudain on m'écorche au cœur, trois fois. La bouche grande ouverte, pris de stupéfaction. A peine le temps d'exprimer ma rancœur profonde. Je file, plonge, m'engouffre. Tombant en cendres que le vent balaye aussitôt comme de vulgaires feuilles mortes. Le temps d'une dernière pulsation j'esquisse un sourire que le temps immortalise. A jamais.

Auteur : Kiruna

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