Chuuuut… suivez moi, sans faire de bruit…
Je sens que vous êtes à la fois impatients et anxieux que je rompe ce merveilleux silence.
Vous voyez cette serrure qui découpe le bleu du ciel?
Je vous emmène à pas menus
à pas comptés
Au Pays des choses tues
là où tout est
silence
tout
est
silence.
Dans ce pays naissaient des bêtes sauvages, toutes plus belles et plus sauvages les unes que les autres, elles se nourrissaient de rayons d’ombre et de feuilles de Lune, parce que ce sont des plantes qui ne souffrent pas qu’on les craque croque.
Et tout là -bas se passait sans ces cris d’amour ou désamour qui déchirent la nuit et terrifient les cœurs simples, c’est si simple de s’aimer…
Tout se passait le mieux du monde et dans le silence, dans une merveilleuse lumière aussi sombre et douce que l’aile du Corbeau, les vagues de la mer se barbouillaient de rouge ou noir, rêvaient d’un Ouest, plongeaient par-ci, sortaient par là,
filaient sous terre
comme des marcottes
tiens une marmotte
excusez-nous
du
dérangement !
Elles (les vagues) folâtraient au loin, et leurs éclats d’écume ne dérangeaient pas du tout les ondulations du sable six pieds au moins en dessous qui en profitait pour jouer aux billes avec les cristallins des poissons.
Pendant
ce temps,
le vent
s’ennuyait....
Il cherchait bien à taquiner les vagues, mais elles le tiraient par les cheveux et vite,
il se lassa
et se laissa
tomber sur la plage,
à l’ombre de quatre pierres
Et alors…
Alors…
Que j’aime ce mot,
Alors
Ce mot qui brille
Comme brindille
Comme l’Aurore…
Oui, mais ce n’est pas le moment…
Alors…
Quelque chose le surprit. Une vague isolée léchait une des pierres, y creusant avec une sorte de gourmandise un trou tout petit, aussi petit que l’excitation d’un enfant qui lèche son pouce qui lèche un saladier rempli de chocolat rempli lui-même. Où en étais-je ?
Ah oui.
Il observait cette danse de la vague et s’approcha tout doucement comme une brise un soir d’été. Puis rentra dans cette ouverture. La vague vexée qu’on ait surpris ses jeux prit le large pour toujours.
Et le voilà qui entre, sort, entre, agrandit à son tour le creux dans la pierre, jusqu’à le faire devenir aussi grand et rond que la bouche d’un Cache à l’Eau, cette bête étonnante dont on croit qu’elle a des aiguilles à tricoter molles dans la bouche mais en fait ce sont des vraies dents.
Et il s’y prenait avec tant de délidouceur que celle-ci y trouva gratouillis et chatouillis qui la firent rire, mais rire, d’un rire aussi transparent et frais que la trace d’un escargot sur une feuille de salade.
Dans son rire, la pierre se replia un peu sur elle même puis s’ouvrit encore plus grande. Ainsi naquit la première bouche d’où sortait un son. Et la bouche de Pierre-Vent eut beau essayer d’étouffer ce premier éclat de joie, il se répercuta jusqu’au bout de la mer, fit se dresser les vagues, les Iles, les palmiers, les nuages eux-mêmes.
La Pierre-Vent était bien heureuse de se distinguer.
Mais dans ce pays on n’aime pas les gens
Qui se distinguent
Et qui font Ding et qui font Dang
Disent le Yin et puis le Yang
Pointent le Big One et font Band
A part.
On la chassa.
Ainsi naquit le premier Poète.
Il ne garda que quelques amis, des hirondelles de mer qui sans pas plus loin se perdre dans les méandres de leurs cris investigateurs venaient poser sur sa peau encore grise leurs espérances de voyage, un escargot qui avait échappé à une salade, quelques cailloux heureux de se retrouver
Et à eux tous ils inventèrent
Avec le temps
Va, tous,
Sans vanité aucune,
Ils inventèrent le langage.
Puis s‘en allèrent vers l’Horizon, en direction du pays où l’on n’arrive jamais, et dont aucune lanterne ne saurait indiquer les contours, car un pays où l’on arrive un jour, ce doit être insupportable et malandrin (j’ignore le sens de ce mot mais je le trouve beau et il me plait de le poser là, comme ça).
Leur voyage prit des siècles et des siècles, durant lesquels loin de s’endurcir, la peau du Poète Pierre-Vent devint à chaque fois plus tendre et réceptive aux choses de ce monde.
Parfois il se déguise en roi, mais en vrai, c’est un vagabond.
Beau chemin que celui de Poète, partir en quête des choses d’avant le langage
Quand tout n’était encore que silence dans la nuit.
Beau chemin que celui de peindre la chair en devenir... ou celle des souvenirs.
Pour ce Poète dont j'ai semé - comme le petit Poucet posait ses cailloux - des pistes vers ses écrits, et pour vous tous, amis lecteurs qui êtes des Poètes en puissance, ce conte…
Un autre demain ?
Allez, ça marche !
Auteur : Russalka
Illustration : Le Poète de Catsacha.