Reflets d'Ombres n° 10 (édito)

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La Part des Ténèbres

«J’avais 6 ans et demi quand, une nuit, j’ai été arrêté par des inspecteurs français portant des lunettes noires. Les policiers m’ont poussé vers la porte où des soldats allemands constituaient avec leurs fusils une haie qui orientait vers des camions. (…) Un inspecteur a dit qu’il fallait m’éliminer parce que plus tard je deviendrais un ennemi de la société. J’ai appris cette nuit-là que j’étais destiné à commettre une faute qui méritait une mise à mort préventive.»1

La nuit propice à bien des malheurs. A bien des horreurs. La nuit, symbole de l’intérieur personnel. Intimité des innocents violée et violentée par les plus abjects démons. Les pires cauchemars.
Le croquemitaine caché dans le placard ou dans le grenier prêt à se jeter sur l’enfant apeuré blotti au creux de son lit.
Le vampire et autres morts-vivants plus horribles les uns que les autres s’emparant du cœur, au propre comme au figuré, des amants esseulés quand coule leur mal-être sur leur oreiller trempé de larmes
Sans oublier les trolls et ogres au faciès peu avantageux qui, dans certaines légendes héroïques et fantaisistes, se sentent mieux la nuit au risque s’ils mettent leur gros nez dehors de jour de se transformer en pierre.

Et souvenons-nous de cette période d’obscurantisme où les élites pensantes et éclairées – les mêmes qui condamnaient au bûcher les femmes pour sorcellerie – qualifièrent le chat de satanique car il sortait… la nuit.
A l’époque, Humanité et chat n’étaient pas fait l’un pour l’autre. Rassurez-vous, leur relation se sont arrangées depuis. A l’époque, la nuit n’était pas éclairée de lampadaires et luminaires de toutes sortes ; de nos jours, oui. Mais pas de quoi pavoiser les vieilles légendes ont la peau tenace et les horreurs de la nuit également. Surtout quand la réalité fait partie intégrante de ces horreurs. Le terrifiant réel. Porté par des gens de tous les jours…
Nul doute que bourgmestre, soldats, ecclésiastique et paysans allaient dénicher la sorcière dès la nuit tombée. Tout comme les collaborateurs français tiraient leurs amis, voisins, compatriotes du lit pour les donner aux nazis. Au même titre que les psychopathes en tous genre semblent être légion dès la nuit tombée : homme en imperméable solitaire, jeunes en maraudes, vieille dame qui promène son chien, jeune homme présentant un délit de faciès évident, etc.
Tout cela semble sans queue ni tête. Une inconscience portée par la collectivité mais pas sans fondements bien au contraire : elle se trouve être régie par ses propres lois de fonctionnement lui donnant ainsi une véritable réalité psychique.
Alors, la nuit, territoire d’une peur sans nom ?
Non, plus seulement la nuit. Le jour aussi.

L’être élitiste à force d’empiéter sur les terreurs de la nuit, s’est rendu compte de son pouvoir et à quel point la peur brute pouvait le mener aux rênes d’une société.
Il a créé de nouveaux monstres, leur offrant en pâture le jour et la rationalité. Les entretenant régulièrement en les justifiant par des propos idéologiques, des paroles divines, par l’inexactitude de chiffres exacts (et inversement), à l’aide de théories scientifico-économiques et bien évidemment par la production de non-actes. Laissant ces monstres libres de errer dans l’imaginaire collectif et de se développer dans le réel.
Ces monstres du monde moderne ont des noms bien intégrés dans l’esprit collectif et font frémir le tout un chacun : Chômage, Précarité, Indécence, Insécurité et le pire l’ « Autre » aux appellations multiples car l’ « Autre » est multiplicité dans sa dangerosité : l’Etranger, le Jeune Issu de l’Immigration, le Vieux, le Chômeur, le Fumeur et même bientôt l’Obèse.

Pire, l’élitiste avide de pouvoir en a légitimé certains qui prenaient corps la nuit tombée. A présent les trolls ne se transforment plus en pierre quand ils mettent le nez dehors. Non, l’Intolérance a dorénavant pignon sur rue. Car l’individu s’est décomplexé.
Celui-ci aurait pu choisir de s’instruire plutôt. C’est de notoriété publique la connaissance balaye les peurs et l’incompréhension, mais l’individu préfère dans sa généralité avoir le courage d’exprimer et de revendiquer l’exaltation de son jugement d’intolérance.
Voici pour réflexion, les propos d’un homme, un conférencier américain inconnu de mon savoir : « Vous connaissez peut-être énormément de choses d’une personne – toutes mauvaises. Mais il y a peut-être une seule chose que vous ignorez à son sujet, qui changerait complètement votre opinion si vous la connaissiez. ».
J’imagine que cette morale pourrait se vérifier bien souvent mais il y a un mais. Avec tant de tolérance et de compréhension qui serait donc le coupable idéal de nos propres malheurs et de nos erreurs ?
Pourquoi donc cette incontournable faute à l’Autre plutôt qu’un autre choix ? Peut-être parce que les ombres de la nuit proviennent simplement de l’intérieur de l’être humain par définition imparfait.
Certains écrivains, poètes et philosophes l’ont nommée « la Part des Ténèbres. » Paradoxe très troublant : Cette part est bannie, non-acceptée, ni comprise chez l’autre mais nous la tolérons et nous accommodons très bien de la notre et de celle de nos connaissances les plus chères.

Toujours est-il que je suis fort bien heureux que cette Part de Ténèbres se soit émancipée chez l’ancien auteur de cet édito. Mon alter ego. Sans elle, je n’aurais jamais repris le contrôle de sa plume.

R.A. LOGAN



PS : Je devine, le pseudonyme machiavélique d’un auteur cela n’est pas très original. Mais tout à déjà été fait, sauf par moi (une citation déjà énoncée par quelqu’un d’autre, certes j’en conviens, mais pas… bref vous devinez la suite…)

1.Boris Cyrulnik, Le Nouvel Observateur, Semaine du jeudi 13 janvier 2005 - n°2097 - Dossier Auschwitz, p. 28

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