La Solitude des Ombres

Illustration : Amboise

"Mais à la fin les fleurs sont toutes un peu les mêmes,
Une image que l'on pleure parmi les chrysanthèmes".


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« Und da warst Du –
Nicht am Licht das Dich umgab
Nein – am Schatten den ich warf
Habe ich Dich erkannt »

Lacrimosa




1


De larges rigoles d'eau ruisselaient sur le pavé, écoulant avec un lointain murmure les flots que la violente averse venait de répandre sur la ville.
La pluie avait cessé pour quelques instants, pour quelques heures peut-être, mais les nuages menaçants qui stagnaient si bas dans le ciel promettaient un nouveau déluge avant le soir. En attendant, ils irriguaient l'atmosphère d'une sombre lumière corrompue et enveloppaient les bâtiments silencieux de l'université de Pénitence d'un précoce crépuscule gris et sale.
Plus qu'une quelconque volonté, c'étaient plutôt le hasard et l'ivresse qui avaient conduit l’homme aux abords de la vieille cité étudiante. Assis sur un banc, il contempla l'architecture des immeubles qui lui faisaient face et se laissa pénétrer par leur austère rigueur géométrique.
Telle une cascade immobile de pierre et d'ardoise, les toits pentus se chevauchaient indéfiniment, développant un riche réseau de coins et de recoins entre lesquels venaient s'immiscer les ombres de la nuit imminente.
Ses yeux retombèrent sur le bouquet de fleurs qu'il tenait à la main et, après s'être étonné de l'avoir gardé avec lui tout au long de cette douloureuse après-midi, il éprouva soudain un violent tressaillement. Les roses trempées n'avaient pas résisté sans dommage au périple que leur avait imposé l'errance incertaine de leur propriétaire.
Leur couleur avait viré au noir, elles paraissaient maintenant vieilles, fripées et impures. L'orfèvrerie végétale était donc bien éphémère, pensa-t-il, et il s'indigna contre la fragilité de la vie, indignation qui évolua lentement en une haine détachée contre l'existence.
Un accès de colère l'incita à lancer le bouquet à terre, mais quelque chose en lui, l'ombre d'un espoir, le spectre du doute, ou peut-être tout simplement l'indifférence, l'empêcha de s'y résoudre. Il comprit à cet instant pourquoi il est si difficile de désespérer...


2


L'horloge égrenait douloureusement les secondes, amplifiant aux oreilles de Marie chaque sursaut du mécanisme comme les imprécations de la culpabilité et de l'inquiétude qui l'avaient envahie. Au-delà du terrible remords qui avait été le sien dès qu'elle avait franchi le pas, dès qu'elle avait senti sa chair fondre dans la première étreinte, une vague impression lui avait depuis le début de la journée laissé présager une regrettable issue.
Son mari avait maintenant deux heures de retard. Une voix insidieuse s'engouffra dans les ténèbres de ses remords et lui entonna à nouveau son terrible murmure. Et s'il savait ?... Cette pensée lui arracha une larme, affreusement cruelle et douloureuse. Elle la sentit rouler lentement sur sa joue et accentuer l'impression de saleté qui s'était emparé d'elle depuis l'acte. Le bain et la longue toilette qui s'en étaient suivis avaient été vains ; ils n'avaient pu effacer la sensation de souillure qui la rendait si mal à l’aise.
Une explosion, suivie de cris de joie résonna au loin et vint couvrir pendant quelques instants le tic-tac régulier de la pendule.
Cela rappela à Marie la fête qui, comme chaque année, en ce premier week-end de février, enflammait la ville. Dehors, partout autour d'elle, les gens s'amusaient et se préparaient à une longue nuit de fête et de libations. Le même pressentiment que celui qui l'avait torturée toute la journée lui suggéra que, pour elle, la nuit serait certainement beaucoup plus sombre et plus sinistre. Elle comprit que cher à payer serait le prix de ses vertus défaillantes...


3
Déjà, la journée avait commencé sous de mauvais augures. Entre les nuées éthyliques qui hantaient toujours son esprit, Michel revoyait encore l'événement qui avait émaillé, tôt le matin, son trajet vers son travail.
L'incident était en soi anodin mais il l'avait cependant profondément bouleversé.
Il pleuvait alors à verse, et la nuit était encore profonde quand il se rendait à l'asile de Gretres. Il longeait à grande vitesse la lisère de la forêt lugubre quand soudain un petit lapin blanc traversa la route devant lui et, aveuglé par les phares du véhicule, s'immobilisa en tremblant au milieu de la chaussée.
Vivement tiré de sa torpeur matinale, Michel freina brusquement en lâchant un cri d'effroi, comme si sa vie dépendait de celle du petit animal. La voiture finit par s'immobiliser après un long dérapage. Michel jeta un coup d'œil au rétroviseur central et vit avec horreur une masse immobile et sanglante au milieu de la route.
Paralysé, les jambes tremblantes, il geignit d'horreur. Sa conscience, elle-même étonnée par une telle réaction ne parvint pas à écraser sa sensibilité d'enfant qui refaisait surface. Michel dut rester ainsi immobile pendant plusieurs minutes, entouré du seul murmure monotone de la pluie, avant de se décider à redémarrer sa voiture et à rejoindre l'hôpital Darcame.
Le reste de la matinée fut plus banal. Il profita des premières heures de son service et de la relative tranquillité des malades pour rédiger un poème à l'intention du petit lapin qu'il avait écrasé sur le chemin, et seule la perspective de son congé l’après-midi même parvint à le tirer de son apathie.
Libéré dès douze heures, il comptait en profiter pour aller rejoindre sa jeune épouse et assister aux multiples festivités qui célébraient pendant ce week-end l'anniversaire de la fin d'une célèbre crise qui avait autrefois marqué le passé de Pénitence.
Il choisit de ne pas prévenir sa femme, et après être passé chez le marchand de fleurs pour accentuer l'effet de surprise, se rendit directement chez lui.

Il crut d'abord trouver une maison vide : le vaste appartement qu'il occupait depuis quelques mois dans le nouveau quartier est de la ville était parfaitement silencieux. Il se demandait où pouvait bien se trouver sa femme. En tout cas, l'effet de surprise était gâché. Il observa son propre reflet dans le miroir de l'entrée et, avec son bouquet à la main, se trouva l'air singulièrement stupide.
Il entreprit toutefois de parcourir l’appartement. Il ne trouva personne ni dans la cuisine, ni dans le salon, et ce ne fut qu'en repassant dans le hall d'entrée pour se diriger vers l'escalier qu'il remarqua un détail troublant. Des chaussures d'homme, qui ne lui appartenaient pas, était soigneusement disposée à coté de celles de Marie.
Une sourde détonation retentit dans son esprit, ébranlant les fondements de sa conscience. L'image d'une avalanche de neige noire, d'une coulée de ténèbres fluides et implacables engloutit pendant quelques instants la totalité de ses pensées. Quelque part dans un autre monde, il sentit l'effluve suave des roses pénétrer ses narines.
Il monta fébrilement les escaliers, guidé par un automatisme auquel, au fond de lui, il ne souhaitait pas obéir. Quand au terme d'interminables secondes, il parvint enfin à l'étage, il entendit le bruissement délicat et régulier de tissus que l'on frotte, ainsi que de faibles soupirs féminins entrecoupés de râles de plaisir.
Entrebâillant la porte de la chambre, il distingua deux corps nus entremêlés. La clarté grise du jour diffusait à travers les volets un halo de lumière qui lui permit de reconnaître dans l'entrelacement de chair les hanches blanches de son épouse.
Pétrifié, il observa pendant quelques instants le spectacle qui s'offrait à lui, tandis que de larges mains caressaient cette peau douce qu'il connaissait si bien. Emportés par leur élan, les deux amants ne semblèrent pas remarquer sa présence.
Michel se retourna, descendit les escaliers doucement et tristement puis sortit en silence. L'image des deux corps enlacés semblait s'être imprimée sur ses rétines ; elle se superposait aux décors familiers qui défilaient devant lui, alors qu'il parcourait les rues de Pénitence. L'image s'imposait à chaque instant à son esprit meurtri, faisant à chaque instant l'effet d'une violente percussion qui perforait les parois de son cerveau, déversant ainsi des flots d'humeurs noires et cruelles partout en lui.

S'ensuivit alors une longue errance dans Pénitence. Les vieux quartiers qui du haut de la colline surplombaient la ville attirèrent tout naturellement sa course désespérée. Après avoir traversé le pont neuf et pénétré les étroites et sombres ruelles, il eut l'impression d'être égaré dans une ville fantôme ; déjà peu fréquentées en temps normal, les rues et les habitations qui longeaient les berges du fleuve semblaient à cette heure complètement désertes.
Michel se laissa guider par le chemin tortueux que traçaient les pavés noirs et crasseux, entre les bâtiments en ruine et les façades fuligineuses, tandis qu'un vent froid répandait dans l'air humide ses relents d'humidité et de moisissure.
La scène à laquelle il venait d'assister avait fini par l'inonder d'une douleur curieuse, presque incrédule, une tristesse plate comme la surface d'un lac noir et sans reflet. Pourtant, il sentait un dangereux tourbillon menacer la quiétude apparente des tréfonds fangeux de son âme. Il savait que la violence du choc qu'il venait de subir pourrait resurgir à tout moment, et qu'elle serait beaucoup plus véhémente alors.
Au fur et à mesure que Michel approchait du centre du vieux Pénitence, les ruelles se faisaient légèrement moins étroites et moins sordides. Quelques hommes et femmes s'affairaient à la mise en place de stands divers et à la décoration des rues, en préparation des festivités du week-end.
Alors qu'il gravissait toujours la colline encombrée des silhouettes décharnées des vieilles constructions, il se retourna lentement et contempla l'horizon maussade qui écrasait le lointain paysage. Plus près de lui, la nouvelle ville étalait derrière le fleuve ses larges avenues et ses bâtiments rectilignes, au-dessus desquels de lourds nuages noirs et immobiles menaçaient Pénitence. Au même instant, il ressentit les premières gouttes de ce qui allait devenir une violente averse.
Fuyant le déluge, il trouva refuge dans un vieux bouge où, ne pouvant attendre le début des festivités, quelques ouvriers avaient déjà commencé à se saouler. Il s'assit à l'écart, au fond de la salle obscure et commanda plusieurs verres de whisky qu'il vida prestement.
Très vite, les vapeurs de l'alcool vinrent brouiller ses pensées, mais elles ne parvinrent pas à dissiper l'horreur des sentiments qui l'assaillaient ; elles les changeaient juste en des flux nets et précis de sentiments de mort, en des pulsations fluides et régulières de douleur et d'incompréhension.
Michel resta quelques heures dans le bar obscur où il avait trouvé asile, et la nuit n'était pas bien loin quand il en sortit.
La pluie avait cessé. Partout, autour de lui, la foule profitait de l'accalmie momentanée des cieux pour s'amuser, crier et danser au son des mélodies joyeuses des orchestres improvisés. Regroupés autour des marchands de boissons et de friandises, les plus vieux conversaient entre eux, tout en observant d'un œil bienveillant les enfants qui couraient avec insouciance.
Pour la première fois depuis qu'il habitait Pénitence, Michel trouva l'ambiance de la vieille ville chaleureuse, il lui semblait qu'elle avait perdu sous ses habits de fête son caractère éminemment lugubre qui frappait généralement les étrangers.
Il se laissa guider par ses pas chancelants à travers la foule, et fuyant certainement de manière inconsciente le tumulte de la fête, redescendit la colline pour se retrouver au centre des vieilles constructions de l'Université de Pénitence qui, en dessous du cimetière, occupaient le flanc ouest de la colline. Tout était beaucoup plus calme ici, le bruit de la ville était restreint à un lointain murmure désagréable. Il se laissa tomber sur un banc et, pour fuir la violence de ses sentiments qui tentaient de refaire surface, laissa donc son esprit s'absorber dans la contemplation des bâtiments qui lui faisait face. Quelques étudiants esseulés venaient troubler de temps à autres la langueur de son recueillement, lui jetant au passage quelques regards de pitié ou de reproche.


4


Au fur et à mesure que les secondes passaient, Marie sentait croître en elle une détresse qui prenait des allures de torture morale. La découverte du véhicule de son mari, garé à sa place habituelle au bas de l’immeuble, l’avait convaincue qu’elle était confondue. Elle savait maintenant que son époux avait découvert la tromperie dont il avait été victime.
Elle se rendit compte avec horreur qu'il lui avait fallu le trahir, voire peut-être même le perdre pour qu'elle comprenne combien elle l'aimait. Tout risquait maintenant d'être compromis.
Il y avait maintenant six mois qu'elle avait emménagé avec Michel dans Pénitence, laissant à quelques centaines de kilomètres de là sa famille, ses amies et son travail, pour découvrir une ville austère et oppressante.
Dès les premières semaines, l'ombre d'une dépression s'était glissée entre les contours de son caractère pourtant habituellement si optimiste et affable. Certes Michel s'était rendu compte de son malaise, et il avait tout fait pour combler le manque ; il n'avait pas rechigné sur ses efforts, malgré la charge de travail que faisait peser sur lui son nouvel emploi, mais rien n'avait été suffisant pour arracher Marie aux griffes d'un ennui grandissant. Alors elle avait essayé de sortir, de travailler, de se plonger dans diverses activités ; elle était même parvenue à lier quelques amitiés, mais il lui manquait toujours quelque chose, quelque chose que Michel ne pouvait apparemment pas lui procurer.
Il y a quelques semaines, elle avait rencontré dans un atelier de photographie un homme auquel elle avait visiblement beaucoup plu. Celui-ci s'était empressé de tenter de la séduire, sans succès, puisque Marie connaissait bien la frivolité et la futilité de ce genre de petit séducteur. Mais la volonté et la constance dont il avait fait preuve l'avait impressionnée, flattée et avait fait naître en elle des sentiments qui brisaient quelque peu la monotonie de son existence ennuyeuse.
Ce matin, alors qu'elle faisait ses courses, elle l'avait rencontré sur la grande place. Il lui avait beaucoup parlé, l'avait beaucoup fait rire, et l'avait finalement invitée à déjeuner. Marie avait accepté, un peu par jeu, un peu par curiosité, sans trop réfléchir. Ensuite, elle avait convié son nouvel ami chez elle et, là, elle s'était abandonnée.
Si Marie avait pu tirer un quelconque plaisir de son aventure, elle aurait pu noyer son remords dans l'éphémère jouissance d'un moment de passion et d'égarement, mais cela n'avait même pas été le cas.
Au terme d'ébats relativement courts, et complètement dénués de plaisir, elle s'était rendu compte de son erreur, et s'était emplie à l'encontre de son amant d'un sentiment qui se rapprochait de celui de la haine. N'aurait-ce été la satisfaction imbécile qui avait envahi son visage quand il se rhabillait, Marie aurait quand même ressenti l'impression d'avoir été abusée, presque violée. Cette affreuse impression eut en soi été une terrible punition, mais le destin avait visiblement voulu qu'elle ne soit pas la seule.


5


L'ivresse commençait à s'évanouir, comme les derniers rayons de lumière autour de lui. Plus que jamais dépité, Michel se demandait comment il avait pu en arriver là. Il se demandait également pourquoi les larmes ne se décidaient pas à couler. Il les sentait proches, mais il n'était pas sûr qu'elles le soulageraient. De toute manière, la honte et la trahison étaient encore les sentiments prédominants, et ils n'appelaient pas les larmes, mais plutôt un désespoir morne et presque vulgaire, bien loin des tristesses nobles et transcendantes des poncifs romantiques.
Jeune, il s'était usé dans quelques liaisons plates, vides et sans lendemain, qui avaient chaque fois un peu plus estompé sa conception idéale de l'amour. Il avait eu beaucoup de mal à accepter que la vie ne se limite en définitive à si peu de choses. Tout lui paraissait terriblement vide et triste.
Puis par hasard, il rencontra Marie et, malgré tout ses craintes et ses réticences, succomba immédiatement à la passion.
Derrière la froideur des grands yeux noirs impénétrables de Marie, pleins d'intelligence et de vivacité, Michel avait su dès le premier regard déceler une profondeur d'âme qu'il n'avait encore jamais rencontrée jusque là. La tristesse qu'épanchaient l'orbe de son sourire amer et la langueur de sa beauté fragile laissait transparaître l'ennui d'une vie terne, mais ne parvenait pas tout à fait à dissimuler les formidables réserves de vie et de passion qui sommeillaient en elle.
L'attirance qu'éprouvait Michel pour la jeune fille s'était rapidement muée en une flambée d'amour frénétique, et il avait tout fait pour que ses sentiments soient partagés. Marie mit quelques temps avant de lui rendre les mêmes sentiments mais céda finalement pour, comme l'avait prévu Michel, éclore en une magnifique fleur de vie et de beauté.
Michel comprit rapidement qu'il pourrait concilier son malaise existentiel et son nouvel amour en une raison supérieure, qui consisterait tout simplement à faire du bonheur de sa nouvelle amante le but ultime de sa vie, à tout faire pour la rendre heureuse, sans nulle autre contrepartie que de pouvoir observer son épanouissement.
Mais les fleurs les plus belles sont souvent les plus fragiles, et la tentative avait été vaine. Du reste, le don même de sa vie à sa bien-aimée n'avait pas suffi pour la rendre heureuse.
Par là, toute son existence patiemment et longuement bâtie au fil des années, au prix de considérables efforts et d'abnégation, s'était écroulée en quelques secondes. Il ne lui restait plus rien.
Même s'il ne s'était pas senti attaché de manière particulière aux ruines de cet amour qui venait de brusquement s'effondrer, Michel sentait qu’il n’aurait jamais plus le courage d’en bâtir un autre, le sachant par avance condamné à l’usure du temps et à la décrépitude de l’ennui.
Enfin, une larme coula. Au même moment passèrent devant lui deux jeunes étudiantes, particulièrement belles et fraîches. L’une d’entre elles parut vivement touchée par les larmes de Michel ; elle s’arrêta et l’invita avec une audace candide à venir se consoler en sa compagnie le soir même, au bal de la place de l’église. Michel, ravalant ses larmes et le sanglot qui menaçait d'éclater ne put émettre aucun son, mais il fit comprendre à la jeune femme dans un sourire forcé et grimaçant qu'il déclinait son invitation. Celle-ci lui rendit un regard profondément désolé, et rejoignit son amie qui l’attendait un peu plus loin. Les deux filles s'éloignèrent rapidement et le laissèrent définitivement seul avec ses ténèbres.


6


Marie laissa tomber le chapelet que par superstition elle étreignait compulsivement depuis la tombée de la nuit, et se releva brusquement du fauteuil dans lequel elle s’était prostrée.
La tristesse, l’angoisse, la peur même, suintaient maintenant continuellement en larmes amères à travers ses grands yeux sombres. Fuyant le silence trop pesant de son appartement, elle endossa son grand manteau noir et se lança dans les rues de Pénitence, à la recherche de son pauvre mari.
Les rues désertes de la ville nouvelle, pensa-t-elle, n’offraient pas vraiment de point de chute à la fuite de Michel, la plupart des bars et restaurants étant fermés en ce jour particulier.
Elle se dirigea donc sans hésiter vers le centre de la vieille ville et, dès qu’elle y fut parvenue, le vacarme assourdissant lui fut rapidement insupportable. Elle erra néanmoins à travers les ruelles bondées, puis aux abords lugubres et désolés du vieux Pénitence où elle surprit avec gêne, perdus dans des ténèbres sales, les étreintes vulgaires des couples que la fête et l’ivresse venaient de sceller. Mais elle ne put hélas trouver la trace de son époux ni parmi les masses remuantes de la fête, ni parmi ces ombres sales des bas quartiers.


7


Il ne s'était même pas rendu compte que la nuit était tombée. La lueur ambrée des réverbères luttait péniblement avec l’obscurité grandissante des lieux ; à travers elle, les gouttes de pluie resplendissaient dans la fulgurance de leur chute.
Au loin résonnaient plus que jamais les échos de la liesse populaire. Michel fixait impassiblement le ciel noir, qui l’écrasait par sa sombre et immuable vacuité et faisait de son corps une masse lourde de chair tiède et déliquescente. A nouveau il ressentit le contact désagréable des fleurs flétries dans ses mains. Obéissant à un élan irréfléchi, il lança maladroitement le bouquet de roses, qui s’éparpilla devant lui, sur les pavés humides.
Quelques secondes, ou peut-être quelques minutes plus tard, telle une apparition funèbre, une ombre sortit discrètement du bâtiment qui faisait face à Michel, et approcha dans sa direction.
La démarche lourde et résignée de la silhouette féminine, la tête basse et le corps légèrement voûté, n’était curieusement pas dénuée d’une certaine noblesse, empreinte de douleur et de mélancolie. A son approche, la faible lumière révéla peu à peu un visage d’albâtre ridé, strict et stoïque, que faisait d’autant plus ressortir des cheveux de jais tirés à l’arrière. Ce visage précocement vieilli et d’une tristesse ineffable, associé à l’humble et austère manteau noir qu’il surmontait, exhalait le charme suranné d’une beauté d’un autre âge.
Michel observait, presque ébahi, cette belle femme qui paraissait pourtant si vieille et, alors qu’elle passait devant lui, il la vit s’agenouiller lentement puis rassembler délicatement les fleurs trempées et souillées.
Elle les regarda longuement, avec un air sincèrement dépité, puis les recueillit et les pressa contre sa poitrine avec tout l’amour que, devina Michel, son existence solitaire devait galvauder. Elle se releva doucement, et poursuivit son chemin avec la même indolence, sans accorder le moindre regard à Michel.
Poussé par la curiosité, celui-ci éprouva soudain le vif désir de suivre cette étrange apparition, et il se lança sans plus attendre sur ses pas. Si Michel put constater avec un certain soulagement qu’il avait retrouvé l’aplomb de sa démarche, il s’inquiéta cependant de cette subite envie inconsidérée, et il ne put la mettre que sur le compte de l’emprise persistante de l’alcool.
Il se rendit compte à regret que la vieille dame en noir le guidait vers l’agitation de la fête du centre de Pénitence et de ses multitudes déchaînées. Mais loin d’être dissuadé, il quitta avec elle les vieux quartiers de l’Université de Pénitence.
Les deux ombres traversèrent le parc, puis remontèrent les sombres allées du vieux cimetière, désespérément calme et silencieux. Le marbre froid des tombes et des sculptures gothiques formait avec l’obscurité qui les noyait des ténèbres denses et lourdes, offertes à leur errance. Recouvrant soudain la lumière, ils déambulèrent ensuite dans les rues de la ville, bondées de noctambules à la joie exubérante et bruyante, indifférents à la pluie qui les inondait.
Michel faillit plusieurs fois perdre de vue son infortunée compagne dans l’épaisse foule remuante.
Parvenu à la place de l’église, où le bruit et la fête atteignaient leur paroxysme, il fut bien malgré lui emporté dans une gigantesque farandole ; la musique, les rires et les cris, le contact impudique de ses partenaires de danse improvisés, pour la plupart ivres morts, heurta à tel point sa sensibilité meurtrie qu’il se débattit violemment, déclenchant ainsi parmi la joyeuse assistance un mouvement de réprobation massif et méprisant.
Enfin libéré du flot de cette ridicule sarabande, Michel scruta la foule autour de lui à la recherche de la dame en noir, dont il avait bien évidemment perdu la trace pendant ce fâcheux incident. Par chance, il l’aperçut monter lentement les marches de l’église. Indifférente au tumulte qui l’entourait, elle pénétra dans l’entrebâillement obscur de la porte de l’édifice. Il s’empressa de la suivre.
La lourde porte de bois se referma derrière Michel avec un fort grincement ; dès qu’elle fut complètement close, le bruit de la fête fut réduit à une lointaine clameur. Au dehors, la pluie avait redoublé, et bientôt, seul son ruissellement répercuté par l’écho infini de la haute voûte vint troubler le silence froid et dur de l’église.
Michel avait à nouveau perdu sa curieuse amie dans la pénombre sale qui l’entourait. Dès que ses yeux se fussent habitués à l’obscurité, il distingua, agenouillées sur les bancs, une multitude de silhouettes immobiles disséminées ça et là parmi la nef.
Frappé par cette vision étrange, il oublia celle qu’il avait suivie jusque là, et fut soudain la proie d’un immense sentiment de tristesse et de pitié pour toutes ces pauvres âmes qui, indifférentes aux festivités qui agitaient leurs congénères, avaient fui la foule pour se réfugier dans le recueillement solitaire de leurs muettes souffrances. Quelle cruauté du destin, se demanda-t-il, avaient poussé cette population souterraine dans les catacombes froides d’une société méprisante et sourde à leurs aspirations, quelles misères les avaient ainsi acculés à implorer l’improbable miséricorde d’un dieu impitoyable ?
Tandis que Michel observait ces pauvres ombres écrasées par la fatalité, il lui sembla alors ressentir toutes les blessures profondes de ces misérables hères, toutes les ambitions déçues, les amours méprisées, les idéaux déchus qui hantaient ces hordes silencieuses de fantômes.
Il comprit que ce n’était pas là les prêcheurs de fausse probité qui défilaient aux messes dominicales, plein de componction et d’une morgue malsaine, pour absoudre les péchés de leur vie impure ; ces ombres étaient au contraire les anges obscurs qui, le soir venu, venaient discrètement se décharger de leurs douleurs, dignes et sans plainte : ils étaient ceux dont on n’entend guère pendant la journée que les soupirs étouffés et le souffle tourmenté ; ceux dont on remarque seulement dans l’indifférence générale les yeux brillants et meurtris qui s’accoutument si mal aux fards de l’existence, mais qui réservent pourtant leurs larmes à l’obscurité glacée de leurs retraites.
Michel s’avança au milieu des travées puis s’agenouilla sur un banc libre. Il constata avec étonnement que les dernières minutes avaient occulté le souvenir de ses propres malheurs. Mais ces pensées resurgirent hélas rapidement, et comme redoublées après leur courte éclipse, lui arrachèrent de nombreuses larmes. Flottait autour de lui le murmure lointain des prières et des soupirs malheureux mais, enveloppé par les ténèbres, il ne pouvait deviner aucun visage, ni même aucune silhouette.
A intervalles réguliers, le grincement de la porte annonçait le déferlement sonore qui pendant quelques instants rompait honteusement le silence et le recueillement des hôtes de l’édifice par un flot sacrilège de musique et de cris.
La tête baissée et les yeux rivés au sol, Michel s’efforçait de continuer à maîtriser sa douleur, douleur qu’au demeurant aucun effort n’aurait pu diminuer. Michel ne pouvait se borner qu’à contenir les assauts rageurs des sentiments de mort qui l’assaillaient, et il est vrai que l’ambiance austère de l’église contribuait à l’y aider.
Au terme de quelques minutes, des effluves familiers lui parvinrent, et il ne tarda pas à reconnaître en eux le parfum suave de son épouse. Il maudit immédiatement le cruel hasard qui venait maintenant le confronter aux souvenances nostalgiques d’elle.
Il se détourna de sa contemplation immobile afin de tenter d’identifier celle qui osait exhaler la même fragrance que sa traître bien-aimée, mais il ne put distinguer autour de lui que des ombres diffuses et anonymes.
Cette présence aux côtés de Michel avait fait naître en lui un doute horrible, doute dans lequel se répercutait toute la cruauté du choix qu’il serait bientôt obligé d’opérer. En admettant même, se dit-il, que la fortune eut vraiment placé à côté de lui, dans l’obscurité de cette église, son épouse infidèle, Michel n’était pas sûr de pouvoir affronter son regard, ni même de pouvoir choisir entre la colère et le pardon, entre la rancoeur de la trahison et l’espoir d’une renaissance.
Plutôt que de continuer à se perdre dans ces réflexions trop amères, il préféra les éluder et se replonger à nouveau dans son recueillement.


8


Ayant en vain écumé les lieux où Michel aurait pu se trouver, Marie avait fini par trouver refuge dans l’église Saint Gabriel qui comme par miracle s’était présentée sur son chemin pour l’abriter des cieux déchaînés.
S’il était un endroit où elle ne pensait pas trouver son époux, c’était bien ici ; ainsi fut-elle troublée quand elle crut reconnaître dans l’ombre agenouillée à coté d’elle la grande et large silhouette de celui qu’elle avait en vain recherché durant les deux dernières heures. L’obscurité était cependant bien trop profonde pour qu’elle puisse en être sûre, et les sanglots sourds et étouffés que laissait échapper l’ombre la détournèrent rapidement de son impression première : même si la grande sensibilité de Michel n’était un secret pour personne, Marie, même dans les moments les plus difficiles qu’ils avaient pu partager, ne l’avait jamais, jamais vu pleurer.
Elle se détourna de cette troublante vision, et pria pendant quelques dizaines de minutes, en attendant que la tempête se calme au dehors, elle pria pour que tout s’arrange, elle pria pour retrouver son mari. Quand elle sortit, la foule lui parut encore plus dense, et elle dut batailler fermement pour se frayer un chemin à travers ces masses remuantes. Elle se dirigea ensuite rapidement vers son appartement, où elle espérait peut-être trouver son époux.


9


Plusieurs minutes s’écoulèrent avant que Michel puisse à nouveau sentir une nouvelle bouffée de ce parfum qu’il connaissait trop bien pour ne pas pouvoir le reconnaître avec certitude, et il ne put s’empêcher de regarder celle qui, en se levant, juste à côté de lui, l’avait exhalée.
La silhouette marchait déjà, la tête basse, vers la sortie de l’église. Michel la vit s’arrêter quelques secondes devant un pilier où, nichée dans le granit, une statue pieuse semblait se terrer sous les flammes vacillantes de quelques cierges. Les contours de la silhouette de la jeune femme se précisèrent devant la lueur fragile qui émanait de la cavité, et Michel put immédiatement y reconnaître celle de Marie. Il ferma les yeux devant cette vision, et crut l’espace d’un instant que la douleur sourde qu’elle lui infligeait allait le tuer là, au milieu de ces ténèbres anonymes. Quand il rouvrit les yeux, Marie avait déjà disparu.
Pendant la fatale hésitation qui devait suivre, Michel sentit tout le poids de ses sentiments contradictoires écraser sa volonté. Dans son esprit s’agitaient et se neutralisaient les spectres de ses passions ; amour, colère, résignation et abandon, masses indistinctes de sentiments que venaient sceller dans un immobilisme tragique le calme et la protection de l’asile offert par l’église.
Il crut rester une éternité ainsi, à ressasser la violence de ses états d’âme, ignorant s’il devait rester dans le réconfort sacré de ces lieux, ou au contraire partir à l’assaut d’un destin incertain.
Mais l’amour qu’il vouait à Marie fut finalement plus fort que tout, et il se leva brusquement pour se lancer à sa poursuite. Avant même d’avoir franchi la porte, Michel ressentit quand il en étreignit la poignée, un terrible pressentiment ; il regrettait d’avoir quitté sa tranquille retraite, il sut quelque part qu’il était déjà trop tard.

La sombre intuition qu’il venait d’avoir ne l’empêcha pas, quand il se retrouva au dehors, d’être pétrifié de stupeur : la place, les rues de la ville étaient totalement obscures et désertes ; le vacarme qui les emplissait à peine une heure auparavant avait complètement disparu, pour laisser la place à un silence terrifiant et absolu.
La pluie avait cessé, et les nuages avaient même laissé se découvrir les cieux, au sein duquel une lune rousse aux proportions étranges irriguait l’atmosphère de ses rayons maladifs. L’obscurité était bien plus épaisse encore que celle qui régnait dans l’église, elle paraissait plus dense, plus froide et plus dangereuse.
Michel descendit machinalement les marches encombrées de gravats et de débris, puis se dirigea vers la place désertée.
L’idée d’un rêve horrible, d’un cauchemar s’imposa naturellement à lui, mais la véhémence de ses sentiments lui avait rendu les dernières heures si émotionnellement douloureuses qu’il dut à regret écarter cette hypothèse. Par ailleurs, il avait durant sa vie professionnelle si souvent côtoyé la folie qu’il ne pouvait en voir une manifestation dans cette situation si paradoxalement cohérente et réelle. Enfin, l’idée d’une gigantesque farce lui traversa furtivement l’esprit, mais la plaisanterie eut alors pris des dimensions telles qu’elle en devenait raisonnablement impossible.
De quelle autre manière aurait-il pu expliquer le cours angoissant des événements ? Au delà des étranges circonstances qui avaient mis fin si promptement à la fête, une sensation angoissante jetait sur Michel un effroi grandissant.
La ville semblait inexplicablement avoir changé ; si elle n’avait pas épanché cette impression si forte de ruine et d’abandon, Michel eut pu jurer qu’elle avait rajeuni. Seul au milieu de la place, il observa danser devant lui une multitude de feuilles mortes que charriait un vent glacé et humide. Michel s’étonna de leur présence en cette saison, et son inquiétude en fut accrue. Il se dirigea vers les bâtiments qui entouraient la grande place, et fut à nouveau sidéré quand il put voir leur état de délabrement avancé.
Certains semblaient avoir été ravagés par les flammes, d’autres en partie soufflés par de violentes explosions. Tous témoignaient de la même décrépitude, et surtout, tous étaient dénués des célèbres sculptures qui hantaient depuis toujours le ciel tourmenté de Pénitence. Michel recula, effaré et tremblant, et retourna vers l’église où il espérait trouver, à défaut d’explication, quelque réconfort.
Hélas, parvenu devant l’entrée de l’édifice, une sensation bien plus violente encore que toutes celles qu’il avait ressenties jusqu’alors le dissuada d’y entrer. Il poussa néanmoins la porte, qui grinça en s’ouvrant sur des ténèbres immobiles et menaçantes, au sein desquelles il lui sembla entendre résonner un soupir étouffé. Sentant son coeur battre à tout rompre, il préféra s’éloigner rapidement de l’église plutôt que d’affronter la présence qui se terrait à l’intérieur.
Il erra dans les rues sombres et toujours aussi désertes, à travers une ville qu’il ne reconnaissait que partiellement. L’intention dérisoire de retrouver le chemin de sa demeure, intention qui avait plus tôt animé ses pas, avait laissé la place à une fuite désespérée au sein d’un univers hostile.
Sa démarche se fit plus pressée, et pour fuir la panique lancinante qui commençait à l’envahir, il se raccrocha à l’idée d’un mauvais rêve. Un souvenir tentait depuis quelques minutes de refaire surface, mais animé par un souffle de raison, Michel le retint dans les profondeurs de son esprit.
La partie de la ville dans laquelle il était descendu lui était parfaitement inconnue ; les ruelles s’étaient transformées en d’étroits passages entre des murs humides et pourrissants, sur lesquels les ténèbres étendaient une emprise complète. Il décida de rebrousser chemin et de remonter vers des quartiers moins sombres.
La peur qui l’étreignait depuis la sortie de l’église avait peu à peu changé de terrain, elle était désormais matérialisée par la lutte âpre et désespérée que livrait son esprit avec les souvenirs qui tentaient d’en resurgir : une discussion avec l’un des vieillards de l’asile Darcame, à propos du passé de la ville et de ses inquiétantes légendes... Michel s’efforça de penser à autre chose, il pressa encore son pas et il pensa à Marie, à la difficile épreuve qu’il avait vécu l’après-midi même, à l’espoir d’une réconciliation.
Michel courait maintenant, perdu dans le dédale des ruelles obscures, dont aucune ne lui permettait de remonter jusqu’à la place où avait commencé son cauchemar ; toutes se retrouvaient à un moment ou à un autre obstruées par un passage envahi de ténèbres insondables, que Michel n’osait pas traversées.
Son seul repère restait à présent le murmure lugubre du fleuve qui continuait immuablement à déverser quelque part derrière lui ses flots. Michel finit toutefois par déboucher sur une voie qui par sa largeur paraissait être une des rues principales du vieux Pénitence.
La pâle lueur de la lune parvenait enfin à s’immiscer entre les façades noires et désolées, et elle permit à Michel de distinguer parmi les multiples débris qui jonchaient les pavés humides une rose flétrie et écrasée. Plusieurs pétales s’en étaient déjà détachés, ils semblaient flotter au gré du vent froid qui les agitait. Il s’agenouilla auprès d’elle et tenta de la recueillir, mais la fleur sombre se répandit entre ses mains en une poussière fine et légèrement odorante.

Michel se releva et poursuivit son chemin. Durant sa remontée vers la place, il trouva plusieurs autres fleurs, abandonnée à la désolation de ces lieux sinistres. Il jeta à chacune d’elles un regard apitoyé, sans même tenter de les ramasser. Michel ne pouvait s’empêcher de deviner dans ces découvertes un symbole mystérieux, qui bientôt lui apparut dans toute sa signification.
Michel aperçut à quelques dizaines de mètres devant lui une ombre qui cheminait dans la même direction que lui, vers le haut de Pénitence. Il ne mit pas même une seconde à reconnaître la démarche gracieuse et pleine de résignation de la dame en noir.
Pourtant, quelque chose avait radicalement changé dans la physionomie de celle qui l’avait un peu plus tôt dans la soirée guidé vers sa retraite glacée dans l’église. Cependant, l’épaisse obscurité empêcha Michel de déterminer précisément quel était ce changement.
Il tenta en vain de héler cette rencontre inespérée ; sa voix se perdit, comme dans un cauchemar pénible, dans la vacuité terrifiante d’un silence de mort. Alors, il s’employa à nouveau à suivre la mystérieuse inconnue, mais il fut surpris de constater qu’en dépit de ses efforts pour hâter son allure, il ne parvenait pas à la rattraper. La poursuite continua quelques minutes, jusqu’à ce que, arrivée sur la place de l’église, l’ombre arrête sa course. En approchant peu à peu d’elle, Michel décela enfin dans la posture étrange de la tête de la femme en noir le changement qui avait affecté son aspect et qu’il n’avait jusque là pas pu clairement définir.

Les derniers sentiments conscients de Michel, avant que la folie ne s’empare pour toujours de son esprit, furent l’horreur et l’absolue terreur qui le pénétrèrent quand il s’aperçut que la dame en noir, fantôme aux mains gantées, n’avait plus de tête. Il la vit pourtant lui tendre dans un mouvement maladroit ce qui restait du bouquet de fleurs, puis laisser tomber sur le sol les roses pourries et déjà presque décomposées.

Auteur : Cédric Seyssiecq

Illustration : Amboise de Rachel Gibert.

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