Le Labyrinthe Fantasque

Illustration : Ile Saint Joseph

Il y avait, dans la cave du château, une ouverture comblée par de la terre. Cela m’avait déjà intrigué le jour où je l’avais visité pour la première fois, découvrant cette merveille du 15e siècle laissée à l’abandon depuis une centaine d’années. Je m’étais dit, en signant l’acte de propriété, que retirer la terre qui bouchait le passage serait l’une de mes priorités lorsque je commencerai à restaurer l’édifice. Réparer la toiture d’ardoise en était une autre. Retaper dans le style de l’époque les pièces délabrées de la tour et du logis viendrait après.

Je fis ce que j’avais décidé. Dès que ce fut possible, je demandais aux ouvriers d’enlever la terre et, ce faisant, ils découvrirent une marche, puis deux, puis un escalier ! Il existait donc encore un niveau en dessous de la cave ! J’étais très intrigué et je suivais avec impatience les travaux. Les hommes continuèrent à excaver, puis, un jour, ils m’appelèrent pour me dire qu’ils avaient presque fini de déblayer l’escalier et que l’on pouvait enfin voir ce qu’il y avait en bas. J’avais délaissé pour quelques jours mon cabinet d’architecture parisien afin d’être sur place en cet instant magique. Je me précipitais donc, débordant de curiosité, pensant aux sentiments que devait éprouver Howard Carter en découvrant le tombeau inviolé de Toutankhamon. Les ouvriers avaient effectivement ôté presque toute la terre à l’exception d’un monticule en bas des marches. Je l’escaladais et pointais ma lampe en direction de l’espace mystérieux qui était resté dans l’obscurité pendant certainement plusieurs siècles. Je découvris une très belle salle de la fin du Moyen Age, avec des alignements de colonnes aux chapiteaux décorés de feuilles supportant des voûtes en croisée d’ogives à clef pendante. Des peintures que je ne pouvais pas bien distinguer en ornaient les murs. Une porte à accolade surmontée d’un fronton gothique flamboyant sculpté s’ouvrait au fond de la pièce. Je passais de l’autre côté du monceau de terre afin d’observer cette fabuleuse découverte de plus près. Les ouvriers en profitèrent pour achever leur travail et emporter le dernier chargement de leur camion au loin. Les peintures que la lumière dévoilèrent représentaient notamment les philosophes Platon, Aristote et Saint-Thomas d’Aquin. Les extraordinaires couleurs avaient gardé toute leur fraîcheur. Puis je m’approchais de l’ouverture et découvrit, à la lueur de ma lampe, qu’elle donnait sur un long couloir. Entre les feuillages qui la dominait, je distinguais le mot Veritas, c’est-à-dire vérité, en latin. J’ignorais la raison d’être de cette inscription, tout comme la vocation de l’endroit. Que peut bien faire une aussi belle salle dans un second sous-sol ? Elle devait dater de l’époque de sa construction, au 15e siècle, par Eudes Avit, banquier richissime féru de philosophie et d’alchimie. Jalousé par des hommes puissants qui semaient son parcours d’embûches, il était devenu misanthrope et vivait dans une grande solitude. Vers la fin de sa vie, il semble même qu’il soit devenu fou. Soupçonné d’avoir tué plusieurs de ses visiteurs, dont on n’a jamais retrouvé la trace, ses ennemis ont saisi l’occasion pour jurer sa perte par tous les moyens. Sur leurs dénonciations fallacieuses, le riche ermite a rapidement été condamné à mort, sans qu’on ne sache plus, aujourd’hui, quel supplice avait été appliqué, car le meurtre était puni de pendaison, mais, également convaincu de faux-monnayage, il aurait dû être bouilli vivant, et, de plus, accusé d’hérésie, il risquait d’être brûlé vif. Quels que soient ses torts, le pauvre homme ne méritait pas un tel déchaînement de haine, surtout qu’il était essentiellement motivé par l’argent. J’arrivais à éprouver de la compassion pour lui, même s’il était un criminel.

Les ouvriers devaient être loin, maintenant. Je montais jusqu’au rez-de-chaussée afin de récupérer des piles de rechange pour ma lampe. Je vérifiais que j’étais vraiment seul au château en jetant un œil par la fenêtre. La lumière printanière me sembla éblouissante, tant je m’étais habitué à l’obscurité des profondeurs. Le soleil éclairait les courtines, ainsi que la cour, devant le logis seigneurial, dans lequel je me trouvais et faisait luire l’ardoise des toits pointus des tours rondes situées à chaque angle, ornées de mâchicoulis plus ornementaux que défensifs. De là, je voyais aussi le châtelet et le pont, situés juste en face de moi. Tout était désert. Je quittais la grande cuisine dans laquelle j’avais pris des piles et je redescendis dans la cave, sous la salle de réception située dans l’une des tours contiguës au logis. J’étais très excité à l’idée de découvrir ce qui se cachait au bout du couloir qui s’ouvrait sous l’inscription Veritas. Je m’y engageais prudemment, ne sachant pas s’il y avait des risques d’éboulement ou non. Le passage avait l’air solide, il était rectiligne et ne s’ouvrait sur aucune salle. Le sol était recouvert d’une fine poussière et j’avais l’impression d’en respirer de fines particules. Parfois, des toiles d’araignées venaient m’effleurer désagréablement le visage. Au bout de quelques pas, je vis se dessiner une intersection devant moi. Mon couloir se séparait en deux, à la manière d’une fourche. Je pointais ma lampe dans le passage de gauche : il avait l’air de se terminer en cul de sac sans qu’il y ait une seule porte d’un côté ou de l’autre. J’empruntais celui de droite qui me semblait plus engageant. Percevant un léger courant d’air, je me retournais. Sur le coup, je ne vis rien. Puis je réalisais que là où se trouvait encore un couloir quelques secondes avant, il y avait maintenant un mur. Je me précipitais dans sa direction, inquiet à l’idée que la seule sortie que je connaisse puisse être obstruée. Malheureusement, mon inquiétude était fondée : j’étais à présent face à une impasse, car même le couloir que j’avais vu sur ma gauche en arrivant était fermé. Je tapais contre le mur, mais il était parfaitement solide. Intrigué et inquiet devant cet événement incompréhensible, je me décidais à reprendre l’exploration du seul couloir qu’il me restait, en espérant qu’il me permettrait de bientôt revoir le jour. A son extrémité, à droite, je trouvais enfin une salle, assez vaste et rectangulaire. Elle ressemblait à celle qui marquait l’entrée du souterrain, mais en moins ornementé. Mon regard fut attiré par une nouvelle inscription, à nouveau écrite en latin, sur le mur qui me faisait face. Je lus : « La Vérité est multiple ». Cela ne me donnait aucune indication sur la manière de sortir de ce piège. Il y avait une ouverture sous l’inscription et une autre à droite. Je m’approchais de la seconde et entrais. Je découvris une autre grande pièce rectangulaire, avec des colonnes, des chapiteaux ornés de feuilles et des voûtes en croisée d’ogives. Cette fois, il n’y avait rien d’écrit nulle part et aucune issue. Je revenais dans la première salle et me dirigeais aussitôt vers le passage situé sous l’inscription. Je débouchais à nouveau dans une pièce, mais, cette fois, le mur qui me faisait face était semi-circulaire. Plus petite que les autres, la salle était soutenue par une seule colonne centrale. Tout d’un coup, ma lampe sortit de l’ombre un squelette humain. Je ne pus m’empêcher de sursauter. Je me forçais à aller le voir de plus près. Il devait être très vieux, car les vêtements étaient à l’état de poussière.

Mon angoisse monta d’un cran : et s’il n’y avait plus de sortie à ce souterrain ? Combien de temps allais-je errer avant de mourir ? Je sortis de ce tombeau en empruntant une ouverture située à ma droite. Un couloir en partait et je commençais à le parcourir. Je sentis à nouveau le curieux courant d’air et entendit comme un bruit de frottement. Lorsque, rassemblant mon courage, je me retournais, il n’y avait plus trace de la porte que je venais de traverser mais, à sa place, je découvris un couloir qui se divisait au loin. Je me demandais si je n’étais pas sujet à des hallucinations et, par prudence, je ne m’aventurais pas dans ces nouveaux territoires. Le passage dans lequel je me trouvais bifurquait ensuite vers la gauche selon un angle assez raide, puis, après un long corridor rectiligne, à droite. Je sentis à nouveau un souffle derrière moi, et, lorsque je pivotais sur moi-même, ce fut pour me rendre compte que le couloir ne se trouvaient plus au même endroit qu’avant. En plus de la peur, je commençais à être fatigué de marcher. J’arrivais alors dans une pièce triangulaire plus simplement décorée que les précédentes. Là encore, je découvris une phrase en latin sur l’un des murs : « Trouve ta Vérité ». Une porte surmontée d’un arc brisé s’ouvrait sous l’inscription, juste en face de moi. Je ne comprenais pas la raison d’être de ces salles ni des phrases. Je franchis l’arche et arrivais dans une nouvelle pièce, triangulaire elle aussi. Une sortie se trouvait dans un angle, pratiquement en face de moi. Je dirigeais par là et empruntais à nouveau un couloir. Celui-ci formait des arrondis, tournant sur la gauche puis sur la droite. Je sentis encore ce souffle qui marquait le déplacement des galeries et ne me retournais même pas : j’aurai le temps de les explorer ensuite si je ne trouvais rien là où j’allais. En dépit de tous mes espoirs, au bout de mon chemin tortueux, tombais nez à nez avec un mur. Et un banc, dont je me demandais ce qu’il faisait là. Comme la lumière de ma lampe faiblissait, je changeais rapidement les piles. Pendant l’instant où je ne voyais plus, je sentis à nouveau le courant d’air et je sus que le couloirs changeaient à nouveau de configuration. Ce qui fut confirmé lorsque je rallumais la lampe. Je me décidais à aller explorer le nouveau réseau souterrain après avoir pris un peu de repos. Je m’asseyais sur le banc et commençait à réfléchir.

Bien que rationnel, j’acceptais qu’il exista des choses que je ne comprenais et n’expliquais pas. Le labyrinthe en mouvement dans lequel je me trouvais en était l’exemple. J’étais toutefois persuadé qu’il serait possible d’expliciter ses curieux déplacements. Par contre, ce qui me préoccupait davantage, c’est que je risquais de ne pas pouvoir en sortir. Je comprenais à présent pourquoi son entrée, en haut des marches, avait été bouchée plusieurs siècles auparavant et je m’inquiétais pour les personnes qui allaient probablement s’y perdre après moi. Je pensais à nouveau à Eudes Avit, le constructeur du château. En tant qu’alchimiste, avait-il pu concevoir un tel endroit ? Pourquoi faire ? Y avait-il abandonné les personnes qu’on le soupçonnait d’avoir tué ? Dans ce cas, ce dédale était-il plutôt une oubliette permettant de se débarrasser définitivement des intrus ou une épreuve à surmonter pour retrouver la liberté ? Je me souvenais à présent des phrases que j’avais lues dans les salles que j’avais traversées : « La Vérité est multiple » et « Trouve ta Vérité ». Il pouvait bien s’agir d’une énigme à résoudre ! Et dans ce cas, il devait être possible de quitter cet endroit ! Venant d’un philosophe, qu’est-ce que les deux inscriptions pouvait bien vouloir dire ? Je comprenais bien la première phrase, car on dit aussi « à chacun sa vérité » ; le vrai étant une notion personnelle, contrairement à la réalité, qui est unique et indépendante de notre appréciation. La seconde phrase me demandais de trouver la mienne. Mais à quel sujet ? A propos des galeries souterraines dans lesquelles j’étais piégé ? Tout ce que je pouvais en dire, c’est qu’elles changeaient sans cesse de disposition… Il me vint alors une idée curieuse. Je me dis que ce lieu était peut-être une métaphore de la vérité et que les multiples configurations des couloirs en montreraient la variabilité. Ma propre vérité serait alors l’un de ces couloirs. Ayant interprété ainsi les deux phrases, je me demandais s’il était possible, en me persuadant qu’il existe un passage rectiligne entre moi et la sortie, que le couloir que je l’avais imaginé se matérialise. Je décidais de faire le test.

Je fermais les yeux et me concentrais afin de me convaincre que je ne serais bientôt plus dans un labyrinthe, car un corridor allait se former juste devant moi, me permettant de sortir sans aucun souci. J’essayais de faire le vide en moi, ce qui n’était pas facile entre l’inquiétude, la fatigue, la faim et la soif. Cela faisait bien six heures que je devais tourner dans ces maudits couloirs ! De plus, depuis que mes yeux étaient clos, des courants d’air et de légers bruits venant des couloirs qui se déplaçaient détournaient mon attention. Quand je fus plus calme et certain d’avoir trouvé la bonne solution, j’ouvris les yeux. J’éclairais l’espace devant moi et découvris exactement ce que j’avais imaginé : un long couloir rectiligne. Je n’avais plus qu’à le suivre pour sortir…


Voici le plan du labyrinthe, tel que je pus dessiner à posteriori :

Auteur : Rachel Gibert

Illustration : Ile Saint Joseph de Rachel Gibert.

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