Veritas spendor

Je regarde la Seine, toujours la même Seine. Les abords changent, mais la forme générale est la même. Dieu merci, il y eut Héraclite pour dire « Quand un homme se baigne une deuxième fois dans un fleuve, ce n’est plus le même homme, ni le même fleuve ». A exister ainsi sans vieillir, on se rend compte que l’on change quand même : ce qui est inexorable même pour nous, c’est de mûrir.
C’est une chose de mourir has-been, ex-célébrité, vieux, moche et fauché. Ce qui est pire est de ne pas mourir, has-been, ex-célébrité, fauché, obligé de se rendre vieux et moche pour pour préserver le secret de notre jeunesse éternelle.
La seule chose qui donne un peu de goût à mon existence, c’est l’art, qui, toujours construit sur ce qui le précède, se renouvelle continuellement. Même s’il n’y a jamais rien de nouveau sous le soleil, impossible d’être blasé.
Mon ténébreux ami, Oleg, fit basculer ce destin d’esthète le lendemain. C’était un mercredi de Juin, après la réunion du Conseil de Paris, assez tranquille d’ailleurs.
« Je pars. Je n’en peux plus.
– De quoi ? Je t’étouffe ? Tu es libre comme l’air…
– Non, Paul, ce n’est pas ça. Tu es très bien. C’est le statu-quo qui m’étouffe. Je veux crier au monde qui je suis.
– Au grand jour ? Allons, tu vois bien l’absurdité de ce que tu dis. Tu connais les règles.
– Je ne resterai pas à parler avec toi. C’est pour cela que je te quitte. Tu m’en empêcherais. »
Il fallait bien voir ce que sa menace avait de sérieux. Ce qui m’avait plu, chez lui, et qui avait permis à notre relation de durer plus d’un mois, c’était son désespoir. Ceci étant, un vampire ne doit jamais menacer de tout révéler. Le Conseil n’exclut pas ses membres, comme font les francs maçons. On risque l’élimination, et celle de tous ses initiés. Pourtant je le crus. Et qu’il soit un acteur d’une certaine notoriété le rendait d’autant plus crédible et dangereux.
Il faut préciser que le ‘parrain’ d’un tel vampire est chargé de le supprimer. Et c’est le parrain de ce parrain s’il échoue ou renonce, auquel cas il est inclus dans la liste. Cette sauvagerie peut sembler exagérée, mais le secret n’est pas pour nous seulement une question de tranquillité : il s’agit de sécurité. Que feraient les brebis si elles savaient qu’il y a des loups parmi elles ? Une variante un peu déformée du « Ne mords pas la main qui te nourrit ».
Le problème, c’était la notoriété d’Oleg, acteur de théâtre devenu assez célèbre. Nous ne pouvions le supprimer du jour au lendemain. Heureusement, le Conseil m’avait chargé de préparer un scénario au cas où ce genre de situation se produirait.
Je passai quelques coups de téléphone. On approuva ma décision. Le plan média était déjà ébauché, il fut mis en œuvre très rapidement.
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Les jeunes éphèbes se ressemblent tous : les conversations, les relations même, se réduisent à un nombre assez réduit d’archétypes. Elles n’ont jamais eu d’importance pour moi au delà du simple amusement. Parfois, j’ai pu trouver des personnalités suffisamment approfondies pour être originales. Oleg en fit partie.
C’est en écoutant Axel, à la beauté fascinante mais beaucoup plus bavard qu’Oleg, me raser avec ses parents ignorants, sa découverte de son orientation sexuelle et son coming-out, que j’eus l’idée de faire le mien, un coming-out de vampire, histoire d’avoir un peu la paix : on ne soupçonne pas quelqu’un qu’on a acquitté et qui « joue » notoirement au coupable. Le loup qui crie au loup jusqu’à ce qu’on n’y croie plus.
L’idée fit son chemin au sein du Conseil. Nous avons donc conçu un outil de diversion. Je rédigeai une confession, articulée pour faire prendre les lanternes pour des vessies, travestir le vrai, l’exalter pour le rendre suspect. L’éditeur et l’imprimeur attitrés du Conseil procédèrent, dans le plus grand secret, aux préparatifs. Relecture, corrections, épreuve, maquette. Nous les avions même rafraîchis il y a deux ans. Ecrit dans l’époque présente, le texte devait rester au goût du jour.
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« Paul Cohen, à ma grande surprise, il nous a été impossible de trouver quelque chose sur votre enfance.
– Ce n’est pas un hasard, elle n’intéresse que moi.
– Je serais surpris que quelqu’un comme vous cherche à cacher son ascendance sociale.
– Prenez ça comme une coquetterie de vieille tante.
J’essayai de donner à l’interview un côté mondain. C’était d’ailleurs le seul contexte où j’avais jamais croisé Ardisson. Bizarre exercice, dans un coin de studio, avec deux caméras, un ingénieur du son, une maquilleuse ? Je parvins cependant à les oublier très rapidement, concentré comme je l’étais sur mon action commerciale.
– On ne peut pas dire que vous soyez particulièrement efféminé.
– Je suis vieux, par contre, vous pouvez me croire.
– Quel âge avez vous ?
– Vous n’avez pas réussi à le savoir ?
– Non !
– Il faut croire que j’aime la discrétion. »
[…]
« Vous vous êtes fait connaître par une analyse critique de l’œuvre d’Oscar Wilde, qualifiée par beaucoup d’exceptionnelle.
– J’ai eu la chance d’avoir d’excellentes sources. Plus vous avez une connaissance riche de la vie et de la personnalité de l’auteur, plus vous avez de chances d’appréhender la réalité de son écriture, de son projet.
J’ai surtout partagé beaucoup de ses nuits.
– Pourquoi cette passion pour « Le portrait de Dorian Gray ?
Peut-être est-ce narcissique, mais j’en ai été le modèle.
– Parce qu’il est pour moi fondamental dans la genèse du milieu (j’allais dire mythe) gay qui m’a fasciné avant de me décevoir. Et parce qu’il traite du temps, de l’âge.
– Cela paraît étrange. Vous n’êtes pas si vieux.
– Quel est mon âge ?
– Je l’ignore, je vous l’ai dit.
– Voilà ce qui me fascine. Une tenue adéquate, make-up, hair-cut, et j’oscille entre 35 et 55 ans.
– Très « gay » ce rapport à l’âge et à l’apparence.
– C’est le dernier avatar d’une aspiration profonde, ancienne. Les fées ne vieillissent pas comme nous. Et boire du sang dans le graal ne donne-il pas la vie éternelle ? Eh, bien sûr, le portrait de Dorian Gray qui vieillit à la place de son modèle. Mais dans ce cas, il absorbe surtout les pêchés.»
[…]
« En parallèle avec tout ça, critiques de films. Assez acerbes, d’ailleurs.
– Ce n’est pas vrai. Il y en a eu d’excellentes. Je déteste les idées mal fouillées ou un travail bâclé.
– Elitiste ?
– Non, c’est jusque que si on met en perspective les films, d’une décennie à l’autre, si on cherche ceux qui resteront, on se rend compte qu’il y en a très peu, en comparaison avec la quantité tournée. »
Comment éviter d’être un vieux con après plusieurs siècles, de toutes façons ?
[…]
« Et puis, après l’Angleterre, la France, avec Cocteau. Encore un auteur homosexuel.
– Il était surtout poète. Ses films seront éternels, eux. Il savait rendre palpable l’au-delà des choses, l’interstice… Ses films parlent de la mort, de la mélancolie des morts, avec une telle poésie, c’est chargé d’une telle vérité… »
[…]
« Tous les romans que vous avez écrits ensuite sont noirs. Y aurait-t-il une sorte de fêlure, de cynisme en vous ?
– Non. Cela correspond à mon mode de vie. Le célibat rend triste et créatif.
– Pourtant les presses people ou trash couvrent avec régularité vos relations avec tel ou tel jeune acteur…
– Ce n’est pas parce qu’on baise de temps à autre avec la même personne qu’on n’est plus célibataire ou qu’on ne se sent plus seul.
– Gay « Old School », donc ?
– Plus que vous ne le croyez.
– Cela vous a fait connaître en tous cas ce milieu que vous décrivez dans votre livre.
– Ce n’est pas un « milieu » au fond, comme la mafia par exemple. C’est plus un ensemble de codes et de règles. Chacun s’y projète, forçant souvent le trait, y cherchant un guide de comportement. »
Un peu comme nous, après tout. Est-ce que notre noirceur cynique n’est pas un peu forcée ?
[…]
« Et maintenant, choc extrême, un nouveau roman, extrêmement noir, et, qui plus est, une histoire de vampires, presque morbide dans le naturalisme de ses descriptions. »
Impeccable, l’occasion rêvée. Merci Monsieur Ardisson.
Gagner du temps.
« Vampire rime avec morbide, non ? »
Attaquer.
« Ceci dit, je vous arrête tout de suite. Nulle part, sur la couverture, ou dans le titre, il n’est fait mention de roman. Ce n’est pas un roman.
– Qu’est-ce donc, alors ?
– Une autobiographie.
– Doit-on voir en Théo, le mentor de Jude, votre alter-ego ? Y a-t-il une dimension autobiographique à ce roman ?
– Pas seulement une dimension, c’est une autobiographie.
– Il est pourtant particulièrement excessif, gore, même.
– C’est le mot.
– Il s’en dégage une impression malsaine, pas seulement gothique, car on s’identifie quand même avec les protagonistes. Rien à voir avec les histoires de tueurs en série. Tout ça est très cru, et pourtant très crédible. »
J’avais choisi cette émission, Rive Droite / Rive Gauche, car elle était enregistrée très peu de temps avant sa diffusion, sur Paris Première. Connaissant son goût pour le scoop, quitte à friser le cabotinage, j’avais parié sur le fait qu’Ardisson me diffuse quand même. Ne serait-ce que pour faire des économies de production. Et s’il amputait mes propos, le livre était explicite, et c’était surtout l’idée que ce n’était pas un roman qu’il fallait faire passer.
J’avais regardé plusieurs des interviews d’Ardisson, pour en déduire, en gros, l’ordre qu’il suivrait, le ton qu’il emploierait, etc… pour connaître le terrain. En me basant sur une interview de Brigitte Fontaine, difficilement contrôlable, j’avais eu de bons espoirs qu’il fasse mine de prendre mon propos au sérieux.
[…]
« Tuer ne m’intéresse pas particulièrement. Cela crée d’ailleurs des situations passablement compliquées. Boire du sang, en revanche, m’est nécessaire. »
Il s’étrangla, mais repris vite le dessus.
« Est-ce votre seule ‘nourriture’ ?
– Non, mais comment remplacer l’ingestion de ce fluide encore chaud, encore vivant, charriant l’énergie de mon partenaire… ? Je ne saurais boire ceux que je ne désire pas.
– Une sensualité exacerbée ?
– Pas seulement. Il s’agit aussi d’âme, de fusion. Comme dans l’amour, mais en plus tangible, le plaisir, l’abandon s’effaçant devant le don, le sacrifice, la conscience réelle de ce qui se passe. »
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Le « Zapping » sur Canal+ diffusa au plus grand nombre des extraits de mon interview.
Nous achetâmes quelques espaces publicitaires, toujours dans des quotidiens « sérieux », évitant les magazines. Je tolérai une photo de moi, à moitié à contre jour. Entourée de rouge sombre sur la jaquette, elle rendait plutôt bien. Nous espérions ainsi renforcer encore l’idée qu’il s’agissait d’une autobiographie.
Un soir, dans un couloir d’une station de radio, j’entendis cette phrase, qui me fit espérer le succès de mon entreprise :
« Ce type est fou. Hier soir, il a refusé une invitation à un dîner de gala en disant « Je ne vais pas égorger un convive en public. ». Il laisse primer son personnage public sur sa stratégie de com, il n’ira pas loin. »
Je pense que nous avons bénéficié d’une période favorable. Etait-ce la proximité d’Halloween ? Je fis les têtes de gondole au Virgin Mégastore (magasin béni, ouvert si tard), à côté de vampires exhumés pour l’occasion, comme ceux de Bram Stalker ou d’Ann Rice.
Nous fûmes parfaitement rassurés quand je dus refuser à Thierry Ardisson son invitation à « Tout le monde en parle », sur France 2, beaucoup plus populaire. Je me voyais mal répondre à la question « Est-ce que sucer c’est tromper ? ». Mon projet nécessitait sa part de mystère. Ma gloriole personnelle aurait pu apprécier d’être convié à une émission littéraire, mais le timing ne le permit pas et de toutes façons c’était loin d’être nécessaire.
Les bloody mary connurent une seconde jeunesse, avec une légère variante dans la composition. Il devint subitement à la mode d’arborer deux marques de dents dans le cou. Les jours de l’échangisme, chers à Ardisson, étaient finis.
Les questions idiotes fusèrent. Le sida était-il transmissible par succion ? Certains des nôtres, les plus vénaux, s’associèrent et firent rémunérer leur présence dans les soirées, ayant à leurs basques tout ce que la société branchée contait de masochistes et d’obsédés de l’automutilation. Craignant le conseil, ils jouèrent à être plus vampires que les vampires, ils firent croire qu’ils avaient de fausses dents, et n’initièrent personne.
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Quand je le vis débarquer, chez moi, à 5h du matin, je me suis dit que ma dernière heure était arrivée. Il était beaucoup trop tôt par rapport au début de la campagne pour l’éliminer. La discrétion était de mise. Alors que ma mort, à ce stade, ne causerait que peu de tort à la mise en scène. D’où ma conclusion.
Faisons nous autre chose que de l’attendre, cette dernière heure, dans cet antichambre après la mort ? Pourquoi sinon aurais-je refusé un garde du corps et avais-je conservé la même adresse ?
Oleg n’était pas rancunier, il savait que je respecterais les règles, c’est tout. Je l’invitai poliment à prendre un verre, me doutant qu’il ne serait pas venu seul. Il déclina l’invitation. Ses deux sbires se montrèrent et se saisirent de moi. Ces jeunes idiots semblaient ignorer que si la fantaisie me prenait de ne pas disparaître seul, ils m’accompagneraient tous les trois.
« Paul, tu as tout dit au grand jour à ma place, tu finiras donc au grand jour. Si tu as de la chance, la police conclura à un suicide ou à un meurtre par le feu, et fera le lien avec ta manie de te prendre pour un vampire. »
Lequel entre nous n’a jamais fait ce cauchemar ? Nu, démuni, en plein soleil ? Je me sentis déjà brûler, partir. J’imaginai ce corps si familier réduit en cendres. Renoncer au plaisir d’étancher la Soif. Je parvins à cantonner ma peur dans un coin de mon esprit. J’avais besoin de toutes mes ressources, non pour survivre, mais pour partir sans mettre en danger mes congénères.
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Quand nous arrivâmes sur le quai de la station de Métro, Pasteur je crois, je tournai la tête vers la droite et vis, au loin, au bout du tunnel, le soleil. Une rame arriva très rapidement. A peine le temps de me dire que la fin était proche, et la sonnerie retentit, comme une condamnation. Ils me jetèrent à l’intérieur. Les portes se fermèrent comme une hache qui finit sa course en frappant le billot.
La machine infernale se mit en branle, inexorable. Tous mes muscles étaient raidis. Je n’arrivai plus à simuler la respiration. Les gens durent me prendre pour un fou ou un drogué. Ce n’était pas plus mal, le conseil maquillerait facilement ça en immolation par le feu.
Le wagon où j’étais sortit du tunnel, et la lumière du jour naissant pénétra par les fenêtres. Fébrile comme quelqu’un qui vient de recevoir une balle et se demande s’il est en train de mourir, je vis le rayon de lumière s’approcher peu à peu.
Ouvrant courageusement les yeux que j’avais fermés par réflexe, je vis que j’étais dans le soleil, alors que je pensais qu’il ne m’avait pas encore atteint, puisque je n’avais rien senti. Il ne s’était rien passé. Pas de brûlure. Pas de cendre, ni de sang. Pas même ébloui. Je ne mourus pas.
Toutes mes certitudes s’écroulaient, mais une profonde et sauvage joie s’empara de moi. Je descendis tremblant, à la station suivante, je m’appuyai sur le mur et tournai mon visage vers le ciel, et je le vis, l’Oeil-Bourreau, et mon visage baigna dans sa lumière.
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Je me rendis chez Oleg, le cœur encore battant d’émotion (à l’instar des amputés qui sentent encore leur membre disparu, il m’arrive de sentir mon cœur battre). Je ne résistai pas à la tentation de faire un peu de mise en scène, et décidai de le surprendre sans forcer sa porte.
Même l’inconfort d’un corps si léger et fragile, le vol instable, la vision radar et la longueur subjective du trajet ne suffirent à faire taire ce cri qui résonnait en mon âme : j’étais en vie, j’avais vue la Triste Lumière et j’étais toujours là. Je survolai la jardinière, plongeai sous les volets, entre les battants de la fenêtre et contournai enfin le rideau, pour reprendre ma forme humaine, à défaut de retrouver mon costume laissé en bas.
Oleg était endormi, un jeune et beau brun à ses côtés, à la silhouette fort alléchante sous le drap et au visage presque androgyne. J’en pris note, pour plus tard. Je constatai en regardant son cou qu’Oleg l’avait initié depuis peu, et qu’il était donc inutile d’être trop discret. Je me rapprochai de la chaîne hi-fi, à côté du magnétoscope, croulant sous les cassettes vidéo de « Buffy contre les vampires ».
Je n’avais jamais compris le goût d’Oleg pour l’héroïne de la série, au delà de la simple auto-dérision. Tous ses mecs étaient des androgynes alors pourquoi une fille virile ? Regrets de son hétérosexualité défunte ? Etrange envie de domination par l’autre sexe ?
Je choisis dans la tour de CDs Roméo et Juliette, de Prokoviev. J’en mis l’ouverture, à tue-tête. Ils se réveillèrent brusquement, chacun croyant à une surprise de l’autre.
« Mais… tu…
– Je suis là, devant toi. Et je voulais que tu sois le premier et le dernier à constater la splendeur de la vérité. »
Je n’épiloguai pas. Ce fut un loup qui lui dévora le cœur. Je n’avais pas regardé son beau visage un instant de plus, craignant que mes souvenirs ou mon désir ne resurgissent et viennent contrecarrer ma détermination.
Maculé de sang et de cendre, je me tournai vers son disciple, choqué. S’il l’avait bien choisi, comme je lui avais appris quelque temps auparavant, il se remettrait vite.
« Du goudron et des plumes pour les tricheurs, du sang et de la cendre pour les vampires. Veux tu gâcher ton éternelle existence pour un tas de cendre ou veux tu que j’oublie avoir dit dernier ?
– … Non, Monsieur.
Allons, comment t’appelle-tu ?
– Claude.
– Moi, c'est Paul. Tu l’aimais ?
– Pas spécialement.
Le regard du gamin me rappela soudain que j’étais nu.
– Alors, au pieu ! »
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Certains y crurent pour de vrai, d’autre pas. Nous étions à Paris, ville des modes et des chapelles. Le temps passant, le secret révélé ne fut plus un secret, la nouvelle devint ancienne. Quelques mois pus tard, c’était passé de mode. Le danger était écarté. L’impact de tout ceci à l’étranger fut minime, bizarrement.
Je préservai le mien, de secret, par peur de mes congénères. Je retrouvai les sbires d’Oleg, et les éliminai. Je soldai alors mes comptes avec le Conseil, et disparus de la scène, et du pays, emmenant un Claude consentant avec moi.
La seule façon de vivre tranquille en tant que vampire, ayant de surcroît un goût pour l’écriture, et donc pour la vie publique, c’est de « mourir » de temps en temps, disparaissant pour recommencer sa vie ailleurs. Il n’y a pas de vie éternelle : le nouveau contexte remplace l’ancien, les souvenirs s’estompent. Carpe Diem, si j’ose dire…
Un matin, le soleil qui venait de se lever me caressait les reins. J’avais laissé la fenêtre entrouverte, les rideaux avaient bougé. Je réalisai ma chance, et ressassai une nouvelle fois les évènements. Je n’étais pas mort, sous le soleil. Je n’avais même pas souffert. Pourtant, je savais bien que la peur de la lumière du jour était fondée, pour avoir surveillé les balbutiements de mes jeunes initiés. Je n’arrivai pas à m’ôter de la tête que c’est cette confession, publique, même faussée, qui m’a ôté le Poids, ce mélange d’orgueil et de honte du conspirateur, ne serait-ce qu’un instant. Et que c’est grâce à cela que je pouvais, moi, vampire, me promener à la lumière du jour. Ce n’est pas le soleil, que nous craignons, mais le regard, le notre, le leur.

Auteur : Pierre Fauvel

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