Lord Byron

Illustration :

La dichotomie épicurienne du bien et du mal


Sa vie

Il n’est pas aisé de décrire avec certitude et objectivité la vie de Lord Byron. Cet homme amoureux des plaisirs terrestres, poète doué de génie, engagé et sensible. Il fut de son temps considéré comme un homme débauché, un démon adepte de tous les vices. Son caractère renforçait ces impressions et nul ne savait vraiment quoi, de la timidité ou de la perversion arrogante, prédominait chez lui. On aimait Lord Byron ou on le détestait.
Aujourd’hui encore, Lord Byron est considéré comme un artiste déchu, un homme qui a gâché sa vie et son talent à cause d’un comportement autant scandaleux que contradictoire. Toutefois, si son mode de vie reste encore le sujet de bien des discussions, il est désormais établi que ce poète était un génie qui rivalisait avec les plus grands noms de la poésie anglo-saxonne tels que Dryden, Pope ou encore Milton.

Lord Byron de son vrai nom Georges Gordon Byron, est né à Londres, au 16 Holles Street, Cavendish Square le 22 janvier 1788. Son père, John « Mad Jack »(1) Byron, capitaine aux gardes s’était remarié avec Catherine Gordon de Gight, une descendante des Stuart, espérant faire un mariage de fortune ce qui s’avéra finalement ne pas être le cas. Mad Jack mourut en 1791 laissant sa femme est son fils survivre avec peu de moyens.
La veuve et l’enfant retournèrent vivre à Aberdeen, en Ecosse, avec un revenu de cent trente livres qui leur permettait de survivre modestement. Madame Byron n’était pas une mère très attentionnée, elle était capricieuse, excentrique(2) et peu encline à veiller sur l’éducation d’un enfant. Par conséquent, l’enfance du jeune Byron fut triste et quelque peu malheureuse, ce qui développa son tempérament violent et passionné. La claudication douloureuse que lui infligeait son pied bot et sa faible constitution rajoutaient à son infortune et le rendit particulièrement sensible. De plus, le comportement tour à tour tendre et très sévère de sa mère détruisit l’autorité maternelle qui aurait pu garder l’enfant perturbé qu’était Byron d’un comportement exacerbé et sans limites.
Il était irritable et indiscipliné mais pouvait très bien devenir généreux et affectif, et n’avoir peur de rien.
La première expérience scolaire de Byron dans un collège d’Aberdeen dut être interrompue après être tombé malade. Il fut alors envoyé dans les Highlands pour l’été ce qui favorisa le développement de son imagination grâce aux paysages qu’il pouvait admirer.
A l’âge de 8 ans, Byron commença à écrire des vers et tomba amoureux d’une jeune écossaise. En 1798, il hérita de la fortune et de la pairie de son grand-oncle Lord William, cinquième baron Byron of Rochdale, ainsi que du domaine de Newstead-Abbey situé au cœur de la forêt de Sherwood. Sa mère l’envoya à la public school(3) de Harrow après avoir investi la demeure de feu Lord William. Loin de s’y faire remarquer pour ses qualités d’apprentissage et de discipline, il sut néanmoins se faire apprécier pour ses exploits sportifs. Il était également connu pour sa capacité à dévorer une quantité impressionnante de livres, toujours avide de lecture, il se penchait sur n’importe quel texte, quelque soit sa nature.
En 1803 Byron s’éprit d’une jeune fille du voisinage, Mary Chaworth, elle était de deux ans son ainée et le dédaignait pour son pied bot et parce que son oncle William Byron avait tué son père. Elle finit par se fiancer à un autre homme tandis que l’infortuné poète lui vouait une immortalité de vers comme Dante l’avait fait pour Béatrice.
Après cet amour malheureux, le jeune Byron fut envoyé au Trinity College puis à Cambridge où plusieurs intrigues amoureuses scandalisèrent l’université. Il s’éprit d’un jeune choriste, ce qui lui valut une réputation de pédéraste qui devait alimenter un peu plus sa mauvaise réputation. De plus, il préférait le canotage, la baignade ou encore l’équitation à l’étude du latin ou du grec.
Durant toute sa scolarité, Lord Byron ne se fit que peu d’amis, ce qui était certainement dû, en partie, à sa timidité qui était souvent prise pour un excès d’orgueil. Il avait des camarades de classes avec qui il avait développé des relations plus amicales comme Sir Robert Peel et les rares amis qu’il s’était fait restèrent proches de lui le restant de sa vie. Il était peu prompt à se lier d’amitié mais était fidèle et loyal quand cela arrivait ce qui allait de pair avec sa nature généreuse et affectionnée.
C’est à Cambridge, à l’âge de 20 ans qu’il publia son premier Recueil de poème intitulé Hours of Idleness, autrement dit, les heures de loisirs. Déjà transparaissaient dans cette toute première œuvre, les traits qui devait caractériser à jamais le poète, une humeur fantasque, un scepticisme croissant et une misanthropie qui lui value bien des désagréments. La publication de ce recueil lui apporta également une critique cinglante parue dans La Revue d’Edimbourgh et à laquelle Byron s’attaqua avec une verve égale à celle de Pope dans une satire intitulée English Bards and Scotch Reviewer (Bardes anglais et Critiques écossais). Cette satire lui permit de se faire connaitre quelque peu à une époque où il n’était ni reconnu dans les milieux intellectuels ni dans le milieu de la noblesse qu’il avait pourtant investit.
En 1809 il prit sa place à la Chambre des Lords sur les bancs de l’opposition. Seul et sans relation parmi les Lords, il attendit d’être accepté comme l’un des leurs jusqu’à ce que, las de la vie politique, il quitte l’Angleterre en juin 1809 pour découvrir les plaisirs, la liberté qu’il avait toujours recherché et qu’il ne trouvait nullement sur les bancs de la politique.
Il entama alors son « Grand Tour » que tout jeune homme de bonne fortune bien éduqué se devait de faire au 19ème siècle en y incluant des destinations moins courantes qu’à l’habitude. Il n’avait aucune envie de visiter la France ou l’Allemagne pays où les relations parmi la noblesse étaient plus qu’importantes pour passer un bon séjour.
Il s’attacha donc à visiter le Portugal, l’Espagne, les rivages classiques de la Méditerranée. Il résida ensuite quelques temps en Grèce et en Turquie, pays dont les climats politiques l’intéressèrent grandement. Durant ses séjours il ne manquait pas de traverser de larges étendues à la nage comme l’Hellespont à Constantinople.
C’est surtout en Grèce et en Turquie qu’il trouva matière à son épanouissement et à combler ses envies. Il fut présenté sans encombre devant les gouverneurs et les pachas et découvrit avec ravissement les jeunes femmes et les paysages magnifiques qui stimulèrent son imagination. Il aimait profiter de la bonne chère en distribuant généreusement de nombreuses bouteilles de spiritueux lors des banquets auxquels il assistait.
Il trouva, dans ses visites en Grèce et en Turquie, le matériau nécessaire à l’épanouissement de son imagination, là où il considérait l’Angleterre ennuyeuse, il s’épanouissait dans l’Est en révisant ses orientations classiques. Malgré son scepticisme religieux, il discutait aisément avec les popes et les hommes religieux qu’il rencontrait afin d’enrichir sa rhétorique et sa compréhension théologique. Byron vit alors l’Orient comme le poète enthousiaste le voyait à l’époque, un endroit merveilleux fait de rêves et de paysages magnifiques alliés à la beauté de ses mythes.

De retour en Angleterre après la mort de sa mère, Lord Byron publia en 1812 les deux premiers chants du Pèlerinage du chevalier Harold(4) où l’influence de ses voyages se faisait beaucoup ressentir. La publication de ce premier ouvrage fut à la fois une surprise et une source d’admiration pour les lecteurs. L’enthousiasme du public était si grand que Byron s’exclama dans sa correspondance : « Je me réveillais un matin et me retrouvais célèbre ».
Le jeune poète devint alors courtisé, recherché dans les soirées mondaines et tout spécialement par les femmes des plus hauts rangs de la société. Tout le monde était désireux de profiter même un court instant du plus grand poète apparu après Pope et Dryden. Tous les lieux qui lui étaient fermés auparavant et qu’il espérait pénétrer s’ouvrirent devant lui et il fut encensé par les critiques. Il fut dès lors la plus grande idole de son époque.
Sa popularité s’accrut encore lorsqu’il prononça à la Chambre des Lords un discours contre les mesures de rigueur nouvellement prises pour étouffer les émeutes d’ouvriers.
De 1812 à 1814, Byron publia plusieurs ouvrages comme Le Giaour, La Fiancée d’Abydos, Le Corsaire ou encore Lara qui générèrent un fervent enthousiasme de la part du public. Byron fréquentait alors les cercles de la jeunesse aristocratique de Londres.

A la même époque le poète était désireux de calmer ses excentricités et voulut donc se ranger en épousant Annabella, la fille de Sir Ralph Milbanke, baronnet du Comté de Durham. Annabella, connue sous le nom de la « mathématicienne », l’avait déjà repoussé une première fois, elle épousa quand même Byron en 1815 pour un mariage de raison plutôt que d’amour.
Ce mariage fut une grande surprise pour tous ceux qui connaissait le caractère de Lord Byron. De son propre aveu, le lord était plus attiré par la demoiselle d’honneur de sa femme que par cette dernière le jour de son mariage…
Il fut un temps heureux avec son épouse, jusqu’à ce que leurs caractères diamétralement opposés se rencontrent. Lady Byron était jolie, intelligente, distinguée, dévote et d’une vertu hautaine. Sa pudibonderie ne pouvait s’accommoder d’un homme qui avait le plus profond mépris pour toutes les conventions sociales et le dogme religieux. Elle fut donc délaissée dès le début de sa grossesse par son mari qu’elle répugnait à considérer comme un homme de valeur. Byron cherchait des distractions illicites au dehors bien qu’il ai eu pour résolution au début de son union de devenir meilleur pour sa femme. Les embarras financiers devaient s’ajouter à ce mariage malheureux et bientôt Byron fut obligé de vendre l’intégralité de sa bibliothèque. Un bien qui lui tenait à cœur étant d’une valeur inestimable pour ce lecteur assoiffé. En moins d’un an les huissiers firent neuf fois irruption chez lui et la crainte d’une ruine ou d’une saisie ne décourageait en rien les folles dépenses du poète.

En décembre 1815, Byron devint père d’une fille prénommée Ada et annonça quelque jours plus tard par lettre à sa femme qu’elle devait quitter la résidence où ils vivaient pour fuir les créanciers. Ce départ signifiait également la séparation du couple. Byron fut alors malmené par l’opinion publique, accusé de toutes sortes de vices monstrueux, et la presse britannique, toujours sulfureuse, se fit un devoir que d’accentuer le phénomène en comparant Byron à des personnages tels que Néron, Caligula ou encore Héliogabale. Les excentricités de Byron étaient exagérées et ne manquaient pas d’être rapidement révélées au grand jour. Ses ennemis se faisaient un plaisir de se jouer de lui et de rependre les rumeurs les plus folles et méchantes sur son compte. Le public, prompt à suivre l’engouement général, se détourna du poète, dégouté par ses vices et ses actes « iconoclastes ».
La séparation du couple fit scandale et ferma les portes de tous les cercles de la haute société britannique à Byron. Les gens de culture et de la politique se détachèrent de lui pour finir par le mépriser et le dénigrer. Plein d’amertume, dégouté et déçu, Byron quitta l’Angleterre pour ne jamais y revenir en 1816 après avoir fait paraître Le siège de Corinthe.
Il visita alors la France et la Belgique où il découvrit avec plaisir le champ de bataille de Waterloo en fervent admirateur de Napoléon Bonaparte. Il visita des châteaux en ruine et passa un long moment en Suisse en s’installant à la villa Diodati où il fit la rencontre du poète Shelley et de sa compagne Mary Wollstonecraft Godwin, la future Mary Shelley. Il rencontra également Madame de Staël et Matthew Gregory Lewis l’auteur de Le Moine.
Durant ce séjour en Suisse il écrivit le troisième chant du Chevalier Harold et Le prisonnier de Chillon.
Après ce séjour, il parti visiter Milan, Vérone et Venise où il s’installa. Friand des carnavals et de tout ce qui n’était pas forcément bénéfique à sa santé vacillante, il contribua à amplifier le phénomène de scandale qui entourait son existence agitée en profitant de tout ce que Venise pouvait offrir d’amusement et de débauche.
C’est à Venise qu’il commença à rédiger ce qui devait rester comme l’un de ses ouvrages les plus connus, Don Juan.
Venise devait également être le cadre de la plus grande histoire d’amour vécue par le poète. Après trois ans de vie dans la ville, Byron se prit d’amour pour la comtesse Guiccioli, la femme d’un des plus riches nobles d’Italie. La comtesse était belle et cultivée et cet amour perdura en dépit de la bonne morale et des rumeurs. Le mari ne s’insurgea pas contre cette liaison et leur offrit même de séjourner dans une de ses demeures située à Ravenne jusqu’au jour où le scandale éclata dans toute l’Italie et qu’il n’était plus possible de l’étouffer. C’est alors que pour apaiser les esprits, le père de la comtesse obtint du pape Pie VII la proclamation de la séparation du couple.
Durant toute cette période, Byron renoua également avec ses idéaux de liberté et participa aux projets d’émancipation de l’Italie en finançant le mouvement des Carbonari. Cependant, l’arrivée des troupes autrichiennes et la défection des Napolitains en 1821 étouffèrent la révolte.
A cette même époque parurent diverses œuvres du poète comme Marino Faliero, Sardanapale, Les deux Foscari, Caïn et surtout la suite des chants de Don Juan. Byron se joignit également à Leigh Hunt et Shelley pour fonder Le Libéral, un périodique qui n’eut que quelques numéros.
En 1823, dépité et mécontent, ses forces s’usant et n’ayant plus l’inspiration nécessaire à la création, Byron décida de changer de cap et se mit au service de l’insurrection des Grecs qui luttaient pour leur indépendance face aux turcs, y voyant une cause méritant d’être défendue. Désespéré de voir les grecs divisés sur la question et incapables d’unir leur force, il resta quatre mois sur l’île de Céphalonie, s’évertuant à jouer le réconciliateur et le négociateur avec le gouvernement grec. Il se souciait alors peu de sa condition de vie et vivait simplement dans une tente sans confort s’évertuant tous les jours à faire de l’exercice en nageant et en montant à cheval.
Rencontrant le prince Mavrokordátos, il reconnut en lui le « Washington » de la Grèce et décida de rejoindre enfin le continent et plus précisément Missolonghi en 1824. Il y découvrit un peuple indiscipliné, cruel, imbécile bien que brave. Mû par son âme de poète idéaliste, Byron dépensa son argent et tenta pendant trois mois de lutter pour le bien du pays. Il recruta un corps souliote et se préparait à attaquer Lépante quand il contracta la fièvre des marais lors d’une de ses courses quotidiennes à cheval. Après avoir subi plusieurs saignées en guise de traitement, extrêmement affaibli, il mourut le 18 avril 1824. Le gouvernement grec lui rendit tous les honneurs avant que son corps ne soit rapatrié en Angleterre et ne soit déposé dans le caveau familial dans l’église de Hucknoll près de Newstead.
L’annonce de la mort de Lord Byron traversa l’Europe et en Angleterre, le jeune Tennyson devait graver ce triste événement sur un arbre « Byron est mort » tandis qu’à Paris, Lamartine et Hugo en faisaient un deuil personnel.

Son œuvre

L’œuvre de Lord Byron est à son image, une gigantesque fresque d’émotions contradictoires. Un mélange de passions impérieuses, de doutes profonds et de mélancolie. Byron est considéré comme l’un des plus grands poètes britanniques au même titre que Shelley ou Keats, il est même avéré que, pendant un temps, il parvint à éclipser la gloire d’auteurs comme Wordsworth ou Walter Scott.
Le travail poétique de Byron se nourrit de l’inspiration qu’il a pu puiser lors de ses différents voyages et des émotions qu’il a ressenti tout au long de sa vie. L’orientalisme, a profondément marqué ses œuvres et en particulier Le giaour, La fiancée d’Abydos, Le Corsaire ou encore Lara. Avec son Don Juan, œuvre beaucoup plus personnelle, il a particulièrement fait montre de son talent pour le burlesque en ajoutant à son épopée des réflexions humoristiques ou assassines à l’égard de personnages politiques ou d’hommes de lettres.
Byron était un « virtuose » des vers, son style, énergique et plein d’images, nous présente des digressions emplies de traits d’esprit. Bien que classique au départ, Byron se tourne résolument vers la mélancolie et la noirceur du Romantisme anglo-saxon en même temps qu’il se prend d’admiration pour la révolte et les questions de lutte pour la liberté.

Son œuvre nous fait part de ses sentiments les plus intimes, on y perçoit son caractère et les contradictions profondes qui en découlent. Rien ne peut mieux résumer Byron que la citation de William Blake « Opposition is True Friendship » autrement dit, l’opposition est la seule véritable amitié(5). Lamartine ne savait d’ailleurs pas si il devait qualifier Byron d’ange ou de démon et bien que les mœurs du poètes furent pour le moins considérés comme des actes « maudits », la nature même de Byron nous fait entrevoir tout un monde de générosité.
Lord Byron était ce que l’on nomme un poète inné, loin de briller par ses résultats durant sa scolarité, l’écriture des vers lui était néanmoins d’une facilité déconcertante. Il est considéré comme un « native poet » c'est-à-dire un poète née, un écrivain dont la faculté de créer des vers fluides s’entrelaçant parfaitement sans heurts ne fait aucun doute. Intuitivement, Byron utilisait le « Spenserian measure » c'est-à-dire la mesure spenserienne(6) pour écrire ses poèmes. La mesure spenserienne consiste en neuf vers iambiques, les huit premiers étant des pentamètres et le dernier un hexamètre ou un alexandrin. Le schéma rythmique se décompose ainsi comme suit : ababbcbcc.
La poésie anglaise utilise toujours l’iambe comme modèle pour composer ses vers. Pour rappel, l’iambe était utilisé durant l’antiquité. C’est un pied de deux syllabes, la première étant longue et la seconde brève. L’accentuation d’un poème anglais crée tout le rythme et il est toujours difficile de rendre parfaitement ce dernier lors de la lecture surtout lorsque ce sont des pentamètres iambiques comme dans les œuvres de Shakespeare. L’iambe est utilisé en Angleterre comme modèle car s’approchant le plus de l’accentuation normale d’une conversation.
Byron utilisait donc la mesure spenserienne dans ses poèmes qui présentent un rythme fluide et sans cassure. Les créations du poète ont toujours ça de particulier que l’élément principal repose sur la description. Description des hommes et des lieux ; de la mer, de la montagne et des rivières ; de la nature en général dans ce qu’elle a d’attirant et de mystérieux ; des villes et des champs de batailles. Ces descriptions sont toujours le fruit d’une lecture de recherche intensive et de contemplations méditatives chères à Byron.
Par ailleurs, les poèmes sont toujours emprunt de ce paradoxe qui faisait la nature même du poète. Né avec des sensibilités et une émotivité accrues, mortifié, négligé, Byron avait développé tout au long de sa vie des comportements contradictoires, à la fois aimant, généreux et timide, il était capable de maintes excentricités et frivolités égoïstes. Cette quasi dichotomie se retrouve dans ses poèmes et en particulier dans des créations telles que Manfred ou Caïn.
A l’image de récits poétiques tels que Le Paradis Perdu de Milton ou La Divine Comédie de Dante, Byron s’est attaché à donner la parole à des êtres déchus. Témoignages des personnages eux même, le poète donne la parole à l’impie et le laisse se justifier. Comme Milton avait fait de Satan son anti-héro, Byron a laissé parler les fautifs sans carcan religieux, sans transformer leurs paroles en sermon théologique. Le but n’était pas de justifier leurs actes mais de les présenter de la manière la plus objective possible, sans imposer d’idéologie chrétienne.
Il est vrai que ces poèmes ajoutèrent au discrédit dont Byron était victime, les critiques considérant qu’il était blasphématoire ou athéiste, ce qui était loin d’être vrai. Byron était certes antireligieux et sceptique mais pas athéiste.

La poésie de Byron est peut-être, quelque part, la matérialisation de ses traits de caractère et de ses spécificités. Il est généralement admis que chez lui, les notions de bien et de mal se côtoyaient sans frontières préétablies, les deux se fondaient ensemble pour donner cette part de lumière et d’obscurité qui donnent tout le cachet, tout l’intérêt de son œuvre. La puissance de ses écrits s’en trouvent renforcée puisque puisant dans deux contraires bibliquement fort de symbolique.

Le Don Juan de Byron

Découpé en seize chants, Don juan s’attira les foudres des adversaires politiques et des admirateurs mécontents de Byron.
Pour résumer l’intrigue, Don juan, jeune espagnol mal élevé par une mère trop rigide, rencontre l’amour à seize ans grâce à une jeune femme mal mariée. Leur aventure d’abord heureuse, tourne mal lorsque le vieux mari les surprend. Don Juan s’échappe et est ensuite envoyé à ‘étranger par sa famille. Seul survivant d’un naufrage, le héro se retrouve rejeté sur une île de la mer Ionienne. Recueilli par une jeune fille dont il tombe rapidement amoureux, Don Juan goûte à la liberté d’un bonheur idyllique jusqu’à ce que le père de la jeune fille les surprenne et n’envoie le héro à Constantinople pour être vendu comme esclave.
Remarqué sur le marché aux esclaves par une sultane qui l’achète et le déguise en odalisque, il se retrouve introduit au sérail. Don Juan refuse alors de céder aux avances de la sultane par souvenir amoureux envers la jeune fille qui l’avait recueilli. Promis à être tué sur ordre de sa propriétaire, il s’échappe et se retrouve au milieu d’une bataille provoquée par l’assaut de la ville d’Ismaël par un général russe. Il se rapproche alors des russes et fait sensation à la cours de l’impératrice Catherine. Cependant Don Juan tombe malade et ne doit sa survie qu’à sa bonne constitution, L’impératrice lui trouvant un remplaçant entre temps se débarrasse de lui en lui confiant une mission. Il emmène alors avec lui une enfant turque qu’il a sauvé des cosaques lors de l’assaut de la ville d’Ismaïl. Il traverse donc l’Europe, passe la Manche et rejoint Londres où il s’aventure dans la haute société. On le fête, les grandes dames s’intéressent à lui et l’une d’elle, complètement immorale tombe dans ses bras à la fin du chant XIV.
Don Juan qui devait, selon les dires de son auteur, comporter vingt quatre chants ne sera jamais terminé. Commencé comme un poème épique, Don Juan se transforme peu à peu comme une chronique où Byron se confesse abondamment.
Toutefois, le poète a appris à rire depuis le mélancolique Chevalier Harold. Le Don Juan de Byron est un joyeux garçon, insouciant qui profite pleinement de la vie. Les expériences vaudevillesque du héro prêtent à rire, tantôt découvert par un mari cocufié, tantôt par un père humilié.
Cependant la légèreté apparente de ces chants cache tout de même un courant psychologique plus profond. Don Juan montre une transformation dans l’état d’esprit même de l’auteur. A chaque fois que Byron à vu des transformations poindre dans son intellect, Don Juan s’en est trouvé modifié et influencé. On aperçoit une révolte, contre la morale courante et sexuelle hypocrite, contre les prohibitions sociales et le carcan qu’elles incarnent. Byron se plaît alors à choquer les gens bien pensants. C’est un défi à toutes les conventions mêmes à celle du bon goût parfois. Don Juan, il est vrai relève moins du romantisme qui caractérisait les précédentes œuvres de Byron, il semble avoir évolué quelque peu vers autre chose. Satire sociale, religieuse, provocation et critique. Byron voulait briser les cadres, instaurer sa révolution, une idéologie qui lui était très chère.

Dans le passage qui va suivre, Byron, parlant à la première personne du singulier, revient sur l’orgueil de l’homme et sa propension à s’en peu soucier avant de sentir sa fin proche. Il décrit avec clairvoyance la chute de l’homme à cause de son orgueil, s’avoue ses faiblesses et porte un regard lucide sur son existence. Il voit l’âge le rattraper et est pleinement conscient des changements qui s’opèrent, conséquemment, sur son esprit comme sur ses écrits. Il s’adresse à ses détracteurs non pas pour justifier ses actions mais pour expliciter ses humeurs. Est-ce un constat amer du temps qui passe, de la réalité qui le rejoint laissant derrière elle la fantaisie et la joie ? La mélancolie, peut-être même certains regrets, peuvent apparaître lors de la lecture de ce passage.
On entrevoit un Byron modeste, mélancolique et conscient de son âge. Il ne se justifie pas, il présente seulement son point de vue même si il lui reste des incertitudes concernant ses envies, son comportement. Il n’est pas certain lui-même d’avoir toujours agit consciemment durant son existence.


Chant IV


I


Rien de plus difficile en poésie que le commencement, si ce n’est peut-être la fin ; car il arrive souventes fois, qu’au moment où Pégase semble arriver au but, il se foule une aile, et nous voilà tombant comme Lucifer lorsqu’il fut précipité des cieux pour ses pêchés ; notre pêché est le même, aussi difficile à corriger le sien, car c’est l’orgueil qui pousse l’esprit à prendre un essor trop grand, jusqu’au moment où notre faiblesse nous montre ce que nous somme.

II


Mais le Temps, qui ramène tous les être à leur niveau, ainsi que l’âpre Adversité, révèlent enfin à l’homme, et (comme nous voudrions l’espérer) peut-être au Diable lui-même, que ni l’un ni l’autre n’ont l’intelligence vaste : tant que les chauds désirs de la jeunesse s’ébattent dans nos veines, nous ignorons cette vérité, notre sang coule trop vite ; mais quand le torrent s’élargit aux approches de l’Océan, nous réfléchissons profondément sur chaque émotion passée.

III


Dans mon enfance, je me croyais fort habile, et je désirais que les autres eussent la même opinion ; c’est ce qui arriva lorsque mon âge devint plus mûr, et d’autres esprits reconnurent alors ma maîtrise ; aujourd’hui ma fantaisie flétrie voit jaunir ses feuilles, mon imagination laisse tomber son aile, et la triste vérité, qui plane sur mon pupitre, tourne au burlesque tout ce qu’il y avait en moi de romantique.

IV


Et si je ris de toute chose mortelle, c’est afin de n’en pas pleurer, c’est ce que notre nature ne peut pas toujours se maintenir dans un état d’apathie ; car il nous faut plonger d’abord nos cœurs au fond du Léthé, avant que ne s’assoupisse ce que nous voulons surtout ne pas voir : Thétis baptisa dans le Styx son fils mortel ; une mère mortelle préfèrerait le Léthé.

V


Certains m’ont accusé d’étranges desseins contre la religion et la morale du pays, et en trouvent la preuve dans chaque vers de ce poème ; je n’ai pas la prétention de comprendre tout à fait ce que je veux dire moi-même quand je veux faire du très beau ; mais le fait est que je n’ai pas fait d’autre projet que de consacrer un moment à la gaîté : mot nouveau de mon vocabulaire.

[…]

Extrait de Don Juan, chants I-V, Lord Byron, Aubier, 1954.



(1)Jack le fou.
(2)Deux traits de caractère qui se retrouveront par la suite chez Lord Byron.
(3)Contrairement à son nom, une public school est une école privée. Une école publique est une grammar school.
(4)Byron y décrit ses propres aventures et ses propres impressions de voyage.
(5)William Blake était un fervent défenseur de l’idée selon laquelle, le bien et le mal, par essence deux notions complètement opposées, ne pouvaient exister l’une sans l’autre. Les contraires loin de se repousser s’attirent pour fonctionner véritablement.
(6)Nommé ainsi en référence à Edmund Spenser qui est l’inventeur de ce schéma rythmique.

Auteur : Gaëlle

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