Marceline Desbordes-Valmore

Illustration :

Sa vie et son œuvre :


Marceline naquit à Douai le 20 juin 1786, fille d’un peintre en armoiries : Félix Desbordes et de Catherine Ducas. Elle connaît une enfance difficile suite à la ruine de son père.

Pour redresser la situation précaire de la famille, sa mère et elle embarquent en 1801 pour les Antilles afin de demander de l’aide à un riche cousin. Mais le voyage ne se passe pas comme prévu, tout d’abord il est très long, il durera 11 jours et à l’issue de ce périple elles découvriront que la situation du cousin est loin d’être florissante, mais pire encore une épidémie de fièvre jaune menace les habitants de l’île. Il ne faudra pas plus de quelques jours pour que la mère succombe à la maladie laissant sa fille dans le plus grand désarroi.

Marceline n’a d’autre choix que de retourner à Douai, retrouver son père. A l’âge de 16 ans elle devient comédienne et cantatrice. Elle se produit successivement à Douai, à Rouen puis à l'Opéra Comique de Paris où, en 1808, elle rencontre Henri de Latouche, le grand amour de sa vie. C’est un homme de lettres qui lui donnera de précieux conseils pour sa future carrière. Les amants s’aimeront le temps d’une année et puis la rupture s’imposera. Elle aura un enfant de lui mais celui-ci mourra à l'âge de cinq ans.

En 1815, les rôles de théâtre se multiplient ; elle incarnera Rosine dans le « Barbier de Séville » au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles et d’autres grands rôles. C’est en jouant à Bruxelles qu’elle rencontre son futur époux Prosper Lanchartrin dit Valmore qu’elle épouse en 1817.
C’est à cette date qu’Henri de Latouche refait surface mais cette fois-ci il est trop tard. Marceline quitte Paris pour s’installer avec son mari à Lyon. C’est à ce moment que Marceline, pour subvenir aux besoins du couple car Valmore est au chômage du fait de son impopularité, se met à écrire.

Quatre enfants naîtront de son union maritale dont trois filles et un garçon mais seul leur fils survivra. Ces nombreux décès l’affecteront beaucoup, puis l’ennui, le dégoût des villes de province et l’impopularité de son mari la plongeront dans le désespoir.
Tout au long de sa vie elle continuera à correspondre avec son amant Henri de Latouche. Valmore, son mari, très amoureux, lui permettra d’ailleurs de publier des poèmes d’amour dont il n’est pas l'objet.

Déçue de la vie, de son amour instable avec Henri et de son fils qu’elle verra peu puisque celui-ci s’est engagé dans l’armée, Marceline meurt d’un cancer à l’âge de 73 ans le 23 juillet 1859, à Paris.



Plusieurs recueils de poésies voient le jour à partir de 1819 ainsi que des contes, des nouvelles et deux romans :


Élégies, Marie et Romances (1819)
Poésies (1820)
Les Veillées des Antilles (poésies et nouvelles, 1821)
Poésies (1822)
Élégies et Poésies nouvelles (1825)
Poésies (1830)
Album du Jeune Age (1830)
Les Pleurs (1833)
Une Raillerie de l'Amour (roman, 1833)
L'Atelier d'un Peintre (roman, 1833)
Salon de Lady Betty (nouvelles, 1836)
Pauvres Fleurs (1839)
Violette (roman, 1839)
Contes en vers pour les Enfants (1840)
Contes en prose (1840)
Livre des Mères et des Enfants (1840)
L'Inondation de Lyon (1840)
Bouquets et Prières (1843)
Domenica (nouvelle, 1843)
Huit Femmes (nouvelles, 1845)
Anges de la Famille (contes, 1849)
Jeunes Têtes et Jeunes Coeurs (1855)
Poésies inédites (1860)
Contes et Scènes de la Vie de Famille ( 1865)
Les petits Flamands
Poésies de l'Enfance (1868)
Poésies en Patois (1896)
Correspondance


Et pour aller plus loin :

Ambrière, Francis : Le siècle des Valmore (Marceline Desbordes-Valmore et les siens 1789-1892). Le Seuil. 1987.
Bertrand, Marc.: Les Œuvres Poétiques de Marceline Desbordes-Valmore. Vol. 1. Grenoble: Presses Universitaires de Grenoble, 1973.
Bertrand, Marc : Marceline Desbordes-Valmore. HB Editions.2004.
Plagenet, Laurence. Seule au rendez-vous, Robert Laffont, 2005.

Les oeuvres disponibles actuellement sur les sites des libraires on-line sont les suivants :

"Poésies". Gallimard.1983.

"Contes". Presses Universitaires de Lyon. 1989.

"Huit femmes". Droz. 1999.


Sur le site de la Bibliothèque Nationale de France, "Gallica", il est possible de consulter les fac-similés des livres suivants :

- deux recueils de poésies qui couvrent toute sa vie,
- "L'atelier d'un peintre",
- "Livre des Mères et des Enfants" et
- "Poésies de l'enfance.


L’amoureuse esseulée :

Marceline Desbordes-Valmore est l’une des plus grandes poétesses romantiques même si elle ne fut célèbre que durant une quinzaine d’années de son vivant. On préféra à son nom trop compliqué à retenir ceux de Baudelaire, Vigny ou Hugo...
C'est au début du XXème siècle que, peu à peu, on se met à redécouvrir sa poésie nostalgique et mélancolique. Parfois citée parmi "les romantiques mineurs", ou les "poètes de second ordre", Marceline a tout de même écrit plus d'une centaine de poèmes, accompagnés de romans autobiographiques dont "l'atelier du peintre" en 1833.
Complimentés par les plus grands (Verlaine, Lamartine), les poèmes de cette poétesse tourmentée reflètent tout simplement sa vie et son passé, comme dans une intimité partagée.
Les thèmes récurrents en sont : l'amour impossible, la solitude, l'isolement, le souvenir, la nostalgie de l'enfance et la perte de l'être cher. Très tôt confrontée à la mort de sa mère, puis de quatre de ses enfants, la poétesse se referme peu à peu sur elle-même et s'interroge sur la religion quand le malheur frappe, comme pour y trouver une réponse. Beaucoup de références sont également faites à l'enfance, à cette innocence perdue, à sa mère qui lui manque, à sa région natale.
Destin maudit ou pur hasard, Marceline est sans cesse tiraillée entre l'amour qu'elle éprouve pour son époux et l'attirance qui la lie à Monsieur de Latouche -lien d'ailleurs indéfectible tissé et renforcé par une correspondance soutenue. Cette liaison épistolaire sera le fil conducteur de toute sa poésie, prolongeant ainsi son amour en obsession. Pour ne pas citer le nom de son amant, elle lui donnera le nom d'Olivier dans ses écrits.
Jeune femme volontaire, actrice malgré elle et amoureuse dépitée, Marceline traduit à travers sa poésie le désir et les désarrois d'une femme à la recherche de son identité. Profondément originale et étonnamment moderne tant dans le style que dans le rythme et la musicalité, elle fut la première avant Verlaine à user de vers à 11 syllabes.
Parallèlement à son amour déçu, elle s'interroge dans ses vers aux moyens de s'affirmer en tant que femme car les poétesses sont peu nombreuses à l'époque. On retrouve par exemple ce thème dans "lettre de femme" ou dans "la femme", mais plus qu'une identité littéraire, Marceline, meurtrie dans son coeur par cet amour manqué, cherche à imposer sa féminité à travers son oeuvre.
Désillusionnée par la vie et surtout par l'amour, écrivant sans relâche comme pour trouver les explications qui lui font défaut, seule, isolée de tout et parfois fataliste, Marceline Desbordes-Valmore a gagné sa poésie, comme le disait si bien E. Montégut, "à la fatigue de son coeur".

Odéliane


Morceaux choisis :

Les séparés (N'écris pas...)

N'écris pas. Je suis triste, et je voudrais m'éteindre.
Les beaux étés sans toi, c'est la nuit sans flambeau.
J'ai refermé mes bras qui ne peuvent t'atteindre,
Et frapper à mon coeur, c'est frapper au tombeau.
N'écris pas !

N'écris pas. N'apprenons-qu'à mourir à nous-mêmes.
Ne demande qu'à Dieu... qu'à toi, si je t'aimais !
Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes,
C'est entendre le Ciel sans y monter jamais.
N'écris pas !

N'écris pas. Je te crains ; j'ai peur de ma mémoire ;
Elle a gardé ta voix qui m'appelle souvent.
Ne montre pas l'eau vive à qui ne peut la boire.
Une chère écriture est un portrait vivant.
N'écris pas !

N'écris pas ces doux mots que je n'ose plus lire :
Il semble que ta voix les répand sur mon coeur ;
Que je les vois brûler à travers ton sourire ;
Il semble qu'un baiser les empreint sur mon coeur.
N'écris pas !

extrait de "Poésies" (1830)



Dors !

L'orage de tes jours a passé sur ma vie ;
J'ai plié sous ton sort, j'ai pleuré de tes pleurs ;
Où ton âme a monté mon âme a suivi ;
Pour aider tes chagrins, j'en ai fait mes douleurs.

Mais, que peut l'amitié ? l'amour prend toute une âme !
Je n'ai rien obtenu ; rien changé ; rien guéri :
L'onde ne verdit plus ce qu'a séché la flamme,
Et le coeur poignardé reste froid et meurtri.


Moi, je ne suis pas morte : allons ! moi, j'aime encore ;
J'écarte devant toi les ombres du chemin :
Comme un pâle reflet descendu de l'aurore,
Moi, j'éclaire tes yeux ; moi, j'échauffe ta main.

Le malade assoupi ne sent pas de la brise
L'haleine ravivante étancher ses sueurs ;
Mais un songe a fléchi la fièvre qui le brise ;
Dors ! ma vie est le songe où Dieu met ses lueurs.

Comme un ange accablé qui n'étend plus ses ailes,
Enferme ses rayons dans sa blanche beauté,
Cache ton auréole aux vives étincelles ;
Moi je suis l'humble lampe émue à ton côté.

extrait de "Bouquets et prières" (1843)



Le nid solitaire

Vas, mon âme, au-dessus de la foule qui passe,
Ainsi qu'un libre oiseau te baigner dans l'espace.
Vas voir ! et ne reviens qu'après avoir touché
Le rêve... mon beau rêve à la terre caché.

Moi, je veux le silence, il y va de ma vie ;
Et je m'enferme où rien, plus rien ne m'a suivie ;
Et de son nid étroit d'où nul sanglot ne sort,
J'entends courir le siècle à côté de mon sort.

Le siècle qui s'enfuit grondant devant nos portes,
Entraînant dans son cours, comme des algues mortes,
Les noms ensanglantés, les voeux, les vains serments,
Les bouquets purs, noués de noms doux et charmants.

Vas, mon âme, au-dessus de la foule qui passe,
Ainsi qu'un libre oiseau te baigner dans l'espace.
Vas voir ! et ne reviens qu'après avoir touché
Le rêve... mon beau rêve à la terre caché !

extrait de "Poésies inédites" (1860)




Solitude

Abîme à franchir seule, où personne, oh ! Personne
Ne touchera ma main froide à tous après toi ;
Seulement à ma porte, où quelquefois Dieu sonne,
Le pauvre verra, lui, que je suis encor moi,
Si je vis ! Puis, un soir, ton essor plus paisible
S'abattra sur mon coeur immobile, brisé
Par toi, mais tiède encor d'avoir été sensible
Et vainement désabusé !

extrait de "Fragments"



Ne fuis pas encore

Tu crois, s'il fait sombre,
Qu'on ne te voit pas,
Non plus qu'une autre ombre,
Glissant sur tes pas ?
Mais l'air est sonore,
Et ton pied bondit...

Ne fuis pas encore :
Je n'ai pas tout dit !
A qui ce gant rose
Qui n'est pas le mien ?
Quel parfum t'arrose,
Qui n'est plus le tien ?
Tu ris, mais prends garde,
Ta lèvre pâlit...

Moi je te regarde :
Sur ton coeur cachées
Des fleurs vont mourir ;
Les as-tu cherchées
Pour me les offrir ?
Vois ! La lune éclaire
L'enclos interdit...

Paix à ta colère !
Sous la noble allée
Qui s'ouvre pour toi,
La pauvre voilée,
Ingrat ! C'était moi.
Sans cris, sans prière,
Sans voix qui maudit,
Je fuis la première.
Adieu ! J'ai tout dit !

extrait de "Romances"

Auteur : Odéliane

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